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Entrepreneuriat et impact positif : entretien avec Julien Honnart, fondateur de Klaxit (aujourd'hui BlaBlaCar Daily)

  • amellouzguiti
  • 16 avr.
  • 6 min de lecture

Onze ans après la création de Klaxit dont l’idée est née sur les bancs de l’INSA Lyon, Julien Honnart revend son entreprise à BlaBlaCar. Au début de l’aventure entrepreneuriale, la startup se spécialise dans le covoiturage domicile-travail ; l’entreprise séduit de grands groupes mais peine à créer un véritable usage régulier. Un pivot vers les collectivités locales permet d’en faire un véritable transport public  pour les zones périurbaines jusqu’à représenter 50% des trajets courts en 2022. Klaxit est ensuite racheté par BlaBlaCar pour devenir BlaBlaCar Daily.

 

À l'heure où les défis environnementaux et sociétaux sont de plus en plus pressants, l'entrepreneuriat émerge comme une force motrice capable de transformer les imaginaires et les usages. Julien Honnart livre son regard sur la manière dont son entreprise a participé au développement du covoiturage domicile-travail, tout en ayant un impact important sur la réduction des émissions de CO2.

 

Vous avez fondé Klaxit, une application de covoiturage dont le modèle est très différent de ce que l’on connaît des applications de trajets grandes distances. Comment fonctionnait l’entreprise et quel était son cœur de métier ?

Il a fallu plusieurs années avant que Klaxit trouve véritablement son modèle. C’était une approche unique dans le paysage des applications de covoiturage qui essayaient de percer il y a quinze ans : en se concentrant sur les trajets domicile-travail, nous avons répondu à un besoin spécifique pour des employeurs puis des collectivités locales, qui y voyaient une solution adaptée pour améliorer la mobilité des zones périurbaines à faible densité. Au lieu d’affréter des véhicules de transports en commun et en subventionnant les trajets domicile-travail en covoiturage, elles offraient un service à leurs habitants, à moindre coût. Pour les utilisateurs, le trajet était transparent : le conducteur était subventionné et les passagers voyageaient gratuitement ou presque. Cependant avant d’arriver à ce modèle et malgré la volonté des collectivités, le chemin a été long. La législation n’était pas de notre côté et ne permettait pas ce type de subvention initialement. Nous avons mis près de cinq ans à trouver ce modèle vertueux et deux ans supplémentaires pour faire évoluer la réglementation.


Julien Honnart (Crédits : INSA Lyon)

Pour permettre ces évolutions règlementaires, vous avez ainsi entamé un travail de lobbying. En ce sens, vous avez participé d’une certaine façon à faire évoluer les imaginaires autour du covoiturage domicile-travail. Est-ce là un pouvoir de l’entrepreneur que l’on sous-estime ?

Complétement, l’entrepreneur a un vrai pouvoir pour changer la société. Sur les trajets domicile-travail en covoiturage, je considère que nous n’en sommes encore qu’au tout début. Cette activité et les activités liées à la transition environnementale en générale, ne peuvent être décorrélées de l’actualité politique et économique. En construisant la première marche et en ouvrant la voie pour que BlaBlaCar puisse poursuivre cette mission, nous avons démontré qu'il est possible de faire bouger les lignes. Nous avons été présents au bon moment, car quand nous cherchions à faire prendre de l’ampleur à Klaxit, les discussions autour de la Loi d'Orientation des Mobilités (LOM) débutaient. Nous avons pu faire entendre notre voix et contribuer à façonner un cadre plus favorable aux trajets de covoiturage domicile-travail, jusqu’à permettre leurs subventions par des entités publiques et la création du Forfait Mobilité Durable (FMD) pour les entreprises. Cependant, ce travail d'évangélisation est loin d'être achevé. Les défis économiques et politiques actuels montrent à quel point il est essentiel de continuer à aligner les intérêts économiques avec les objectifs environnementaux. La transition vers des mobilités plus durables nécessite non seulement des innovations entrepreneuriales, mais aussi un soutien financier et politique fort, ce qui rend la tâche complexe pour un impact réel et durable. Avec Klaxit, nous avons fait en sorte qu’il y ait un alignement de planètes, et pensé un modèle économique pour que ça ne soit pas - seulement - une idée d’idéalistes.

 

Il est courant de penser qu’impact et rentabilité financière soient antagonistes. Pourtant, vous exprimez ici que l’argent demeure crucial pour les startups souhaitant exercer un « impact positif ».

Mon jeu des dix dernières années a été de comprendre comment exploiter les règles économiques qui gouvernent notre société pour faire en sorte que les consommateurs agissent dans le sens de la transition socio-écologique. Dans l’économie circulaire ou l’économie du partage, l'impact est immédiat. Plus votre activité grandit, plus votre impact positif est important. Nous avons passé beaucoup de temps à comprendre qui étaient nos vrais clients ; ceux qui allaient réellement bénéficier de l’approche qu’on leur proposait. Pourquoi les gens covoiturent ? Pour l’argent ou pour l’écologie ? Pour l’argent, sans aucun doute. Les humains restent des homo economicus ! En intégrant des incitations financières avec le concours des collectivités, on permettait un échange gagnant-gagnant pour l’utilisateur et son empreinte carbone. D’ailleurs, il y a une chose que nous n’avons pas réussi, et BlaBlaCar non plus : changer profondément l’état d’esprit des gens pour qu’ils choisissent prioritairement le covoiturage pour sa fonction logique et soutenable plutôt que pour l’argent. On a participé à faire bouger les lignes, mais le rationnel économique n’a pas changé. Il me semble que tant que la notion d’impact carbone ne sera pas intégrée dans la monnaie, les entreprises devront trouver des moyens innovants pour rendre la durabilité attractive. Imaginez le nouveau paradigme : plus vous faites de l’argent, plus vous économisez du carbone. C’était notre fonctionnement chez Klaxit, donc nous étions très alignés. Cependant, le financement de la transition obéit encore aux règles classiques : l’objectif des entreprises reste de faire des profits pour durer dans le temps et  rémunérer ses actionnaires qui ont pris des risques. Vivement que le carbone soit intégré dans toutes les transactions monétaires !


Klaxit a permis de faire évoluer les imaginaires autour du covoiturage domicile-travail (©Unsplash)
Klaxit a permis de faire évoluer les imaginaires autour du covoiturage domicile-travail (©Unsplash)

Pourquoi avez-vous vendu Klaxit à BlaBlaCar ?

En fondant Klaxit, je suis parti d’un problème d’ingénieur : cela n’a pas de sens, ni d’un point de vue économique, écologique et sociologique de continuer à prendre sa voiture tout seul pour se rendre au travail. Nous avons œuvré pendant dix ans pour développer l’activité et aligner les planètes, afin de faire de cette idée simple une réalité pour des centaines de milliers de gens. Lorsque BlaBlaCar est venu frapper à notre porte, nous y avons vu l’opportunité de donner un puissant coup d’accélérateur à la mission que nous nous étions fixés. Ils avaient ce qu’il nous manquait : une très forte notoriété de marque et une énorme communauté d’utilisateurs. Nous avions de notre côté ce qui leur manquait : les clients entreprises et collectivités, ainsi que les équipes pour les gérer. Aujourd’hui, Klaxit est devenu BlaBlaCar Daily et a déjà démultiplié notre impact.

 

Un des reproches faits à l’entrepreneuriat, c’est qu’il n’adresse que des « petites solutions » face à des problème systémiques. Quel est votre regard là-dessus ?

Je crois qu’une armée de milliers de fourmis qui propose des alternatives sera toujours plus efficace que la recherche d’un consensus idéaliste. Le problème climatique est très illustrant : il suffirait que tout le monde s’accorde pour que ce soit réglé, mais cela n’arrivera jamais. BlaBlaCar est d’ailleurs un bel exemple : avec un produit issu de la tech, donc facilement globalisable, on a pu s’attaquer à la décarbonation des transports de façon efficace. Alors bien sûr, ça n’est pas magique et le covoiturage a encore beaucoup à faire, mais je crois énormément en la force et l’énergie d’idées pertinentes dans chaque secteur à décarboner. Le problème est systémique mais la résolution ne passe pas nécessairement par une réponse globale unique, plutôt par de multiples réponses dont tout le monde se saisit. Bien sûr, un changement d’échelle est très souvent nécessaire pour être plus impactant : Klaxit a été une véritable tête chercheuse, pour que BlaBlaCar poursuive de développer le modèle plus rapidement et plus efficacement. D’ailleurs, c’est une question que je vois beaucoup de jeunes ingénieurs se poser. De plus en plus d’entre eux veulent avoir de l’impact, sont très sensibles à l’écologie et aux problèmes de société. Ils ne veulent pas se contenter de faire de la technique et sont tiraillés entre ces deux visions du monde, qui sont pourtant complémentaires. C’est pour cette raison que je suis engagé à accompagner les jeunes entrepreneurs dans mes deux anciennes écoles, l’INSA Lyon et HEC Paris. Si vous avez envie d’avoir de l’impact, commencez petit pour adresser de grands problèmes : vous aurez moins de mal à vous mettre en action, ce qui est essentiel au changement. Entrepreneuriat et impact

 

 

"Regarder un atome le change, regarder un homme le transforme, regarder l'avenir le bouleverse. Le monde des hommes est un monde en accélération constante. Dans un univers où tout se transforme si rapidement, la prévision est à la fois absolument indispensable et singulièrement difficile."

Gaston Berger

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