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Existe-t-il une chimie « plus verte » ?

  • amellouzguiti
  • 17 juin
  • 5 min de lecture

Le point commun entre la barbe à papa, les groupes sanguins ou les détergents biosourcés ? Les carbohydrates, autrement dit, les glucides - ou sucres - qui représentent 75% de la biomasse produite par les végétaux sur Terre. Selon Yves Queneau, chercheur CNRS en glycochimie à l'Institut de Chimie et Biochimie Moléculaires et Supramoléculaires, ces composés sont une ressource essentielle pour la chimie biosourcée. Dans un contexte d’urgence environnementale et alors que les effets de l’ère industrielle sur le climat, la biodiversité et les écosystèmes sont désormais bien documentés, le secteur de la chimie, comme tous les autres, est sommé de se réinventer. Décarboner la chimie devient ainsi une nécessité : cap sur un univers étonnant où les molécules issues de la nature dessinent les contours d’une chimie plus durable.

 

Chimie verte, chimie durable ou biosourcée… Késako ?

Indispensable à l’élaboration des produits utilisés dans notre vie quotidienne, la chimie doit, comme de nombreux secteurs industriels, poursuivre sa transition pour minimiser ses impacts. Parmi les moyens envisagés : l’utilisation de la biomasse. « Si le secteur de l’énergie peut se tourner vers des solutions de décarbonation grâce aux énergies alternatives comme le solaire ou l'éolien, il en va autrement pour l’industrie chimique. Aujourd'hui, la fabrication des produits et matériaux de notre quotidien nécessite une ressource carbonée comme matière de départ. Dans le futur, la biomasse, les ressources issues du recyclage, le CO₂ et certaines algues seront les seules ressources renouvelables capables de servir de matière première pour la chimie », introduit le chercheur associé à l’INSA Lyon depuis plus de 20 ans.

Yves Queneau
Yves Queneau, chercheur à l'Institut de Chimie et Biochimie Moléculaires et Supramoléculaires (CNRS/UCBL/INSA LYON/CPE) est spécialiste de la glycochimie.

 

Le but de la « chimie verte », ou « chimie durable » ou encore « chimie écoconçue », est de développer des procédés innovants plus propres et des produits moins dangereux et moins toxiques, et dont le cycle de vie aurait un faible impact sur les ressources naturelles et l’effet de serre. « Le terme de ‘chimie verte’ est parfois compris comme ‘chimie utilisant la biomasse d’origine agricole’, mais en fait, il recouvre tous les aspects de la chimie durable, tout ce qui permet de rendre la chimie plus propre. Quand on veut limiter le propos à la chimie utilisant la biomasse, on utilise alors le terme de ‘chimie biosourcée’ », précise le chercheur.


Pour passer d’une chimie à base d’hydrocarbures fossiles à une chimie « verte », on considère deux stratégies. « Soit on change les procédés pour obtenir à partir de biomasse les produits et matériaux actuellement obtenus à partir de pétrole, soit, dans une démarche à plus long terme, on conçoit de nouvelles molécules issues de la biomasse, permettant à la fois de substituer le pétrole et de renouveler le portfolio de produits chimiques à la recherche de produits de nouvelle génération, dont l’impact environnemental est amélioré », explique Yves Queneau.

 

Les sucres : des pouvoirs insoupçonnés

Parmi les molécules biosourcées valorisées pour la production de produits issus de la chimie : les carbohydrates, ou molécules de sucres. C’est le cœur du domaine de spécialité d’Yves Queneau, la glycochimie, qui présente deux grands secteurs d’applications. L’un à l’interface avec la chimie durable, l’autre à l’interface avec la biologie. « Les carbohydrates sont des composants clés des végétaux, ils représentent environ 75% de la biomasse produite chaque année, et sont donc une ressource essentielle en chimie biosourcée. Sur cet aspect, nous travaillons à diversifier le design moléculaire de molécules biosourcées pour apporter des alternatives structurales, et apporter des opportunités de découvrir des architectures nouvelles présentant des propriétés de rupture », explique le chercheur de l’ICBMS(1).

 

Si ces molécules sont particulièrement appropriées au développement de nouveaux composés chimiques, c’est qu’elles sont très présentes dans les éléments naturels. « Par exemple, la cellulose est un polysaccharide  qui est le composant majoritaire des arbres, l’amidon est celui des céréales… Même dans les carapaces de crustacés, on retrouve la chitine, un polysaccharide qui a de multiples applications. La chimie étant comme une construction de Lego ; la diversité structurale des carbohydrates, la famille des sucres, est particulièrement intéressante pour le développement de la chimie biosourcée. »

 

Dans l’industrie des détergents, par exemple, certaines molécules, combinant sucres et matières grasses végétales, sont déjà utilisées depuis longtemps. C’est le cas des alkylpolyglucosides, des tensioactifs non-ioniques présents dans des produits comme le liquide vaisselle. « Dans ces molécules qui nécessitent une partie hydrophobe et une autre hydrophile, leur structure dérivée de glucides leur confère une polarité nécessaire pour laver efficacement, tout en étant facilement biodégradables », explique le chercheur. Cependant, innover avec de nouveaux procédés utilisant la chimie des sucres à l’échelle industrielle se heurte encore à des enjeux de procédés et de coût. Transformer et purifier ces molécules reste techniquement complexe, ce qui limite leur compétitivité dans des marchés à faibles marges. « En revanche, dans des secteurs comme la cosmétique, la pharmacie ou la chimie ultrafine, où les marges sont plus larges, les produits biosourcés ont clairement une carte à jouer », souligne-t-il.


Les alkylpolyglycosides sont une classe de tensioactifs non-ioniques d'origine végétale
Les alkylpolyglycosides sont une classe de tensioactifs non-ioniques d'origine végétale utilisés dans diverses applications cosmétiques, domestiques et industrielles.

Réponse aux tensions sur les ressources fossiles

En remplaçant la ressource première issue du pétrole par des ressources d’origine végétale, la chimie biosourcée a l’avantage de s’appuyer sur un cycle naturel. « En étant issues de plantes captant le CO₂ de l’atmosphère par photosynthèse, les molécules produites à partir de biomasse démarrent leur cycle de vie avec un petit crédit carbone. Mais attention, utiliser la biomasse n’est pas une fin en soi pour la décarbonation de la chimie », prévient Yves Queneau. « En matière de synthèse de produits chimiques, la transition doit s’entendre comme un ensemble de démarches qui visent à minimiser les impacts de toutes les étapes. Depuis la source, aux procédés d’extraction et de transformation, en passant par son utilisation et sa dégradation, c’est toute la chaîne de vie du produit chimique qui permettra une vraie transition du secteur ».

 

Car si présentée comme une alternative vertueuse aux ressources carbonées, la chimie biosourcée n’est pourtant pas exempte d’impacts. À grande échelle, elle ne résout pas automatiquement les pressions sur l’environnement, la biodiversité, la santé humaine et les problématiques de recyclage et de biodégradabilité. « Ce n’est pas parce qu’une molécule est d’origine naturelle qu’elle est forcément sans impact négatif sur la santé ou l’environnement. Rappelons-nous que certaines molécules tout à fait naturelles sont des poisons ! », signale le chercheur. « Bien sûr, on peut espérer que les produits construits sur des motifs proches de ceux existant dans la nature soient plus facilement reconnus par les microorganismes et donc permettent une meilleure biodégradation, mais ça n’est pas une garantie. Les nouvelles molécules biosourcées devront être validées au niveau éco-toxicologique avant de pouvoir être appliquées, comme n’importe quelle autre nouvelle molécule. »



"Regarder un atome le change, regarder un homme le transforme, regarder l'avenir le bouleverse. Le monde des hommes est un monde en accélération constante. Dans un univers où tout se transforme si rapidement, la prévision est à la fois absolument indispensable et singulièrement difficile."

Gaston Berger

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