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Léa Douchet, la data scientist engagée qui relie climat et santé

  • xavierbnge
  • 8 déc.
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 4 jours

Léa Douchet, 30 ans, possède déjà un solide parcours scientifique. Originaire du Finistère, diplômée du département BioSciences de l'INSA Lyon, avec une spécialisation en bioinformatique et modélisation, elle a été distinguée, le 8 octobre dernier, par le prix des Jeunes talents l’Oréal-Unesco lors de la 19ᵉ édition. Aujourd’hui Data scientist et doctorante au sein de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), elle mène des travaux à l’interface entre santé et environnement. Portrait et récit d’une trajectoire professionnelle construite pas à pas.

 

 

Ouest-France, Le Télégramme, France Bleu, depuis quelques semaines, Léa Douchet enchaîne les interviews. Début octobre, la jeune femme a été récompensée parmi 34 lauréats (sur 700 candidatures) lors du Prix Jeunes Talents L’Oréal‑UNESCO pour les Femmes et la Science. Une bien belle récompense pour celle qui est aujourd’hui doctorante, passionnée par les mathématiques depuis toute petite et venue à la biologie plus tardivement pendant son cursus dans le Supérieur. Un prix qui vient également récompenser son engagement et sa ténacité ces dernières années, dans un contexte où selon un rapport de l’Unesco, les femmes représentent seulement 29,7 % de l’effectif total de chercheurs en France.

 

Du Cambodge à la Nouvelle-Calédonie


Léa Douchet
Après la pandémie de COVID-19, Léa Douchet a finalement réussi à partir au Cambodge au contact du terrain pour réaliser ses recherches. Une opportunité qui lui a ensuite permis de rebondir vers la Nouvelle-Calédonie.  Crédit photo : Bruno Moure

En 2019, après son stage de fin d’études à l’INSA Lyon qu’elle réalise à La Réunion, Léa Douchet revient quelques mois en France métropolitaine. Direction sa Bretagne natale, pour trouver un premier job. Une expérience très courte qui lui permet ensuite de décrocher une nouvelle opportunité à Nouméa avant que le COVID-19 ne vienne doucher ses espoirs. « Je n’ai jamais pu partir, je suis restée chez moi, confinée et j’ai travaillé à distance. La Nouvelle-Calédonie n’a été réouverte que très tardivement », regrette Léa Douchet. Mais quelques mois plus tard, une bonne nouvelle tombe : « J’ai finalement pu rebondir et rejoindre une autre partie de l’équipe au Cambodge ».  Une véritable bouffée d’air après le confinement. « C’était vraiment bien d’être enfin au contact du terrain parce que je pouvais constater concrètement quelles étaient les habitudes de vie des populations localement et quelles étaient les potentielles sources d'infection. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cet ancrage local est essentiel pour mieux travailler avec les modèles mathématiques. Et puis j’étais bien entourée par une équipe de chercheurs », ajoute-t-elle.

 

 

La Leptospirose, une maladie dévastatrice


leptospirose
La leptospirose, une maladie bactérienne considérée comme l’une des zoonoses bactériennes les plus répandues au monde, avec plus d’un million de cas humains par an, surtout en Asie du Sud-Est, en Océanie, en Amérique latine et en Afrique tropicale. Crédit photo : Adobe Stock

Au fil du temps, la jeune chercheuse se spécialise dans l’étude des maladies environnementales dont la transmission dépend directement des conditions du milieu naturel : dengue, leptospirose, choléra, hépatite ou encore schistosomiase. Malgré quelques difficultés, Léa Douchet persiste dans ce domaine et espère pouvoir décrocher des financements et bâtir un jour un projet de thèse. Quelques mois plus tard, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) avec qui elle avait déjà travaillé lorsqu’elle était au Cambodge, lui tend enfin les bras pour l’accueillir en Nouvelle-Calédonie. Dans son viseur en particulier, deux maladies : la dengue et la leptospirose.

La leptospirose est une maladie bactérienne considérée comme l’une des zoonoses bactériennes les plus répandues au monde, avec plus d’un million de cas humains par an, surtout en Asie du Sud-Est, en Océanie, en Amérique latine et en Afrique tropicale. Souvent sous-diagnostiquée, ses symptômes ressemblent à ceux de la dengue ou du paludisme. Elle se transmet indirectement à l’humain par l’urine d’animaux infectés, notamment les rats mais aussi les porcs, chiens, bovins ou animaux sauvages, puis se déverse dans les eaux vecteurs direct de la maladie.

 

« D'un point de vue biologique, on sait que l'eau apportée par les précipitations, est un élément très important car elle permet à la bactérie de survivre et d’être disséminée dans l’environnement. Cette dernière est stockée dans les sols et l’eau. La bactérie pénètre dans l’organisme via un contact avec une peau lésée ou des muqueuses », commente Léa Douchet. Et pour cause, dans les régions tropicales (Asie du Sud-Est, Pacifique, Afrique), le mode de vie en plein air et les habitudes culturelles favorisent l’exposition à la bactérie. Les agriculteurs travaillent souvent pieds nus ou avec une protection minimale, surtout dans les rizières, les champs humides ou les zones rurales.

 

 

 

Le dérèglement climatique en cause

En tant que data scientist, Léa Douchet n’est pas qu’une observatrice aguerrie qui a étudié de nombreux terrains, elle est aussi et avant tout une spécialiste des mathématiques et des modèles qui lui permettent de comprendre comment ces maladies sont boostées par le dérèglement climatique. En 2022, la scientifique contribue ainsi à la publication d’une étude dans laquelle son équipe et elle montrent que « la leptospirose est affectée par les conditions climatiques, en particulier sous un climat tropical avec des événements plus extrêmes. Les fortes précipitations et les inondations sont les déterminants environnementaux les plus cités. La température est également considérée comme un facteur de risque important », peut-on lire également dans cette publication scientifique. En croisant les données de surveillance sanitaire thaïlandaises avec des variables environnementales, Léa Douchet a contribué à cartographier les zones les plus exposées et simuler l’évolution du risque à l’horizon 2050 dans un contexte de changement climatique. Cette étude démontre aussi paradoxalement que  « le pire scénario socioéconomique conduisant à un niveau de réchauffement planétaire très élevé d'ici à 2100 apparaît de manière surprenante comme le meilleur scénario pour l'avenir de la leptospirose, car il induirait une baisse mondiale significative de l'incidence de la maladie en Asie du Sud-Est principalement entraînée par l'augmentation des températures ». Mais, attention, cela doit être nuancé, car, comme le précise l’étude, « ces tendances mondiales sont toutefois contrastées au niveau régional avec certaines régions qui affichent une incidence accrue à l'avenir ». 

 


Préserver la biodiversité


biodiversité
Caricaturiste pour The Hamilton Spectator, en Ontario, Graeme MacKay a dessiné la première version de ce dessin le 11 mars 2020, le jour même où l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a décrété la pandémie de COVID-19. À l’origine, il ne comptait que les deux premières vagues. Les réseaux sociaux s’en sont emparés, et l’image – puissante – a rapidement fait le tour du monde.

Malgré ces études, les liens entre réchauffement climatique et lectospirose sont aujourd’hui peu documentés et de nombreux défis restent encore à relever : accéder à de nouvelles données, mieux cartographier et comprendre les risques dans les zones rurales, les pratiques agricoles ou les microclimats mais aussi améliorer les modèles. « Les modèles qui font de la projection climatique de long terme par exemple ne sont pas très bons pour prévoir la récurrence des événements climatiques extrêmes. Or, on sait qu’avec le réchauffement, les extrêmes climatiques vont augmenter », explique Léa Douchet. Au-delà de ces défis techniques, la réalité sur le terrain rappelle aussi qu’il faut impérativement protéger les écosystèmes car plus la biodiversité s’effondre, plus les contacts entre humains et animaux réservoirs de ces maladies augmentent, et avec eux le risque d’épidémies. « Tout est lié. La réduction de la biodiversité contribue aussi à la propagation de pathogènes dans des populations », abonde Léa Douchet. Dans un rapport daté de 2020, la très sérieuse Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) rappelle d’ailleurs que « le changement d’usages des terres – via la déforestation, l’agriculture ou l’élevage, l’urbanisation – a causé l’émergence de plus de 30 % des nouvelles maladies répertoriées depuis 1960. »

 

Vulgariser la science

Dans quelques mois, Léa Douchet aura terminé sa thèse et espère pouvoir rester en Nouvelle-Calédonie à l’IRD, sans se mettre trop de pression non plus. « À ma sortie de l’INSA, je me suis beaucoup stressée, il fallait réussir, et puis il y a eu des hauts et des bas, des échecs, la ligne n’est jamais toute tracée. Finalement, je suis arrivée avec mon bagage personnel, mes compétences, et aujourd’hui, j'apprends à construire mon propre métier de scientifique. Je ne me ferme aucune autre opportunité auprès d’autres équipes scientifiques ». Avec les 15000 euros qu’elle a obtenus en devenant lauréate du prix des Jeunes talents l’Oréal-Unesco, la jeune scientifique a aussi bénéficié d’une formation sur la communication mais aussi d’un réseau d’entraide entre femmes scientifiques. Par la suite, elle aimerait utiliser cette somme d’argent notamment pour pouvoir continuer à se former sur les modèles mathématiques et éventuellement monter un projet pour vulgariser la science auprès du grand public. Voir plus loin, plus large, en cohérence avec les enjeux humanistes, socio-écologiques c’est aussi cela, la marque de fabrique des ingénieurs-chercheurs issus de l’INSA.

"Regarder un atome le change, regarder un homme le transforme, regarder l'avenir le bouleverse. Le monde des hommes est un monde en accélération constante. Dans un univers où tout se transforme si rapidement, la prévision est à la fois absolument indispensable et singulièrement difficile."

Gaston Berger

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