Le bilan carbone des super-héros ou le poids de la machine culturelle
- amellouzguiti
- il y a 3 jours
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Combien de quantité de nourriture Flash doit-il ingurgiter pour que son corps produise l’énergie lui permettant de courir à la vitesse qu’on lui prête dans la fiction ? Selon les calculs de Miles Traer, géologue et enseignant à l’Université de Stanford, « en se nourrissant de beurre de cacahuètes, de pizza, de tofu et d’œufs » et en ne courant « qu’à 15% de la vitesse de la lumière », le super-héros brûlerait en une seconde, le nombre de calories qu’un américain moyen mange en un an. Sur son site internet, le « scientifique pop en liberté » passe ainsi au crible l’impact écologique des super-héros les plus célèbres. Et le bilan fait sourire autant qu’il interroge : quel poids les histoires de nos super-héros exercent sur l’imaginaire collectif face à l’urgence climatique ?
Les super-héros : certains bilans carbone pèsent lourds
Parmi les nombreux héros passés en revue par le géologue américain, seul Superman tire son épingle du jeu avec une empreinte carbone totalement nulle. Le premier super-héros des comic books jamais créé tire son énergie du soleil : son pouvoir n’exige aucune énergie fossile et n’aurait même pas besoin de se nourrir. Quant à l’homme araignée, l’analyse du cycle de vie de sa combinaison moulante en spandex affiche un rapport non négligeable : Spiderman utilise près de cinq combinaisons par an, l’élasthanne n’étant pas réputé comme une matière particulièrement résistante. Cependant, le scope 1 (1) de Spiderman s’alourdit quand il s’agit de produire des toiles assez solides pour supporter son poids, tout en restant flexible pour assurer le balancement lui permettant de parcourir la ville ; des impacts carbone que les éditeurs de DC Comics ou Marvel n’avaient pas nécessairement anticipés.

Les super-héros : ces vecteurs culturels
Aujourd’hui, le monde entier (ou presque) connaît leurs légendes. Les super-héros sont ces surhommes et ces surfemmes à qui l’on confie, enfant comme adulte, nos moments de relâchement et de repos.« Mais quand on navigue dans une civilisation où l’on vous explique que les héros sont ceux qui ont ce type de vie, vous pouvez vous gratter pour que les gens prennent le vélo », ironise l’ingénieur Côme Girschig, cofondateur des Jeunes Ambassadeurs pour le Climat lors d’une conférence (2) donnée à l’INSA Lyon. Les super-héros ne sont pas seulement des figures de divertissement : ils incarnent une vision du monde, un modèle de réussite, d’héroïsme et de consommation ; une domination culturelle qui ne date pas d’hier. Déjà en 1946, l’accord Blum-Byrnes déroulait le tapis rouge au cinéma américain et à l’introduction de ses récits en Europe. Au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, le succès était immédiat et l’influence, durable. Hollywood exportant son stock de films, à grand renfort d’action, d’aventure et de happy endings (3).
De quoi sont fait nos imaginaires aujourd’hui ?
« De force, de vitesse, de voiture, de surconsommation, de voyages en avion, de domination masculine… », constate l’ingénieur des Ponts. « L’idée n’est pas dire ce qui est bon ou mauvais, mais de comprendre que nos idéaux ne sont pas le fruit du hasard. Quand on parle de réduire le poids, interdire des zones commerciales, supprimer des lignes aériennes… Ce sont ces imaginaires que l’on broie ».
Alors peut-on vivre en société sans imaginaires ? Sans récit mobilisateur, ni horizon désirable ? Dans la transition socio-écologique, les producteurs d’histoires et d’imaginaires semblent manquer à l’appel. « Ce sont de nouveaux récits de vie, de nouveaux schémas d’accomplissement qu’il faut inventer. Après le temps du sensible, celui des scientifiques qui ont tiré la sonnette d’alarme, puis des ingénieurs qui s’emploient à décarboner nos industries, c’est désormais aux producteurs d’histoires d’entrer en scène. »
La culture : pilier du développement durable
Notre « machine culturelle » transforme des besoins sociaux en besoins fondamentaux, façonnant nos désirs, nos modes de vie, nos imaginaires. Mais à quoi ressemblerait un James Bond sobre ? Un Barron noir version vert ? Une Auberge espagnole sans avion ? Un road movie sans pétrole ? Pour avancer vers un bouleversement vertueux des récits qui nous guident, deux options se présentent selon Côme Girschig : se satisfaire des vecteurs culturels actuels - publicité, réseaux sociaux, influenceurs-, et tenter d’y injecter un contenu qui soutiennent des futurs désirables ; ou bien remettre en cause l’architecture même de ces vecteurs, en interrogeant leurs mécanismes, leurs financements, leurs objectifs.

Si chez les éditeurs de comics, on essaie de faire plus de place aux valeurs qui parlent aux lecteurs du 21e siècle, c’est à très petit pas. Ainsi, le personnage de Riri Williams (alias Ironheart) jeune étudiante ingénieure afro-américaine devient la parfaite héritière d’Iron Man. La métamorphose est triple pour le héros créé par Stan Lee en 1963 qui change de sexe, de couleur de peau et d’origine sociale. Mais la nouvelle super-héroïne saura-t-elle circuler à vélo pour limiter son empreinte carbone ? bilan carbone super-héros
(1) Pour mesurer les émissions de gaz à effet de serre d'une entreprise, il existe différentes méthodologies qui ont pour point commun de catégoriser les émissions en 3 périmètres, appelées « scopes ». Le scope 1 représente les émissions de gaz à effet de serre directement liées à la production d’un produit ou d’un service.
(2) Lors d’une conférence à l’occasion de l’inauguration de la promenade Jeanne Barret, Côme Girschig, conférencier, était invité par l’INSA Lyon.
(3) Fin heureuse ou dénouement heureux. Le terme « happy end » est entré en 1948 dans la langue française, marquant l’entrée du cinéma américain dans l’imaginaire français. Dès leur arrivée, les films d’outre-Atlantique ont été associés à ce type précis de dénouement. Cet outil du récit, mécanisme à succès, est devenu norme de production, tant sur le narratif, philosophique (la fin du film étant un moment crucial pour délivrer sens et message) et enfin psychologique (par l’identification, le spectateur expérimente vit la trajectoire narrative du héros).