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POINTS DE REPÈRES #2 : l'intelligence collective, un outil au service de nos démocraties

  • amellouzguiti
  • 3 sept.
  • 6 min de lecture

Dans un monde toujours plus complexe, fait d’incertitudes, l’interaction avec les autres, le travail collaboratif, qui permet d’appréhender les problèmes sous d’autres facettes, apparaît comme nécessaire. Et si le collectif pouvait finalement s’avérer plus fort que l’expertise d’une seule personne ? Oubliée, l’image du génie solitaire : place aux intelligences qui s’additionnent, se répondent, s’ajustent. Dans les entreprises, les laboratoires, les villes, et même les institutions, l’intelligence collective gagne du terrain. Mais d’où vient ce concept ? En quoi se distingue-t-il d’un simple travail en équipe ? Et peut-elle vraiment, dans certains cas, faire mieux que nos démocraties représentatives ? De la sagesse d’Aristote aux expériences numériques du XXIe siècle, plongée dans les racines, les promesses — et les limites — de cette intelligence à plusieurs voix.



Les points de repères

Pour tout comprendre, Point de bascule vous propose les fiches "Points de repères". Des essentiels à connaître se saisir des enjeux socio-écologiques.


   

Infographie Intelligence collective
L'infographie est téléchargeable (PDF) en bas de page.
« La multitude, lorsqu’elle s’assemble, peut surpasser en qualité les meilleurs individus, non en tant qu’individus, mais collectivement. […] Car chacun, bien que n’étant pas un homme de bien, peut avoir une part de vertu et de sagesse, et, réunis tous ensemble, ils deviennent comme un seul homme avec de multiples qualités. »— Aristote, La Politique, livre III, chapitre 11

Le concept d’intelligence collective n’a véritablement ni inventeur, ni gourou. En réalité, l’intelligence collective a eu plusieurs penseurs, à différentes époques, qui en ont perçu des fragments, puis développé le concept dans différents contextes. Dès l’Antiquité, Aristote pressentait déjà que la sagesse pouvait émerger d’un groupe plutôt que d’un individu seul.  Il faut ensuite faire un pas de géant dans le temps, au début du XXe siècle pour voir émerger chez le célèbre statisticien Francis Galton - dont l’expérience mathématiques vécue à la foire agricole de Plymouth en 1906 sera reprise par le journaliste James Surowiecki dans « La sagesse des foules » publié en 2024 - une pensée moderne du concept d’intelligence collective. Au XXe siècle toujours, les penseurs de la complexité et des systèmes auto-organisés comme Norbert Wiener, mathématicien et Gregory Bateson, anthropologue et éthologue, éclairèrent les mécanismes sous-jacents de la coopération distribuée, sans chef ni plan central. Edward O. Wilson, scientifique, observant les fourmis, révéla aussi la puissance de l’intelligence collective chez les insectes sociaux. Enfin, à l’ère du numérique, Pierre Lévy, philosophe et chercheur français, a conceptualisé une intelligence collective mondialisée, rendue possible par Internet.

 

 

L’intelligence collective moderne : des exemples

L'intelligence collective est de plus en plus présente dans le monde moderne, particulièrement grâce à Internet et aux technologies numériques. Elle est utilisée dans la science, la politique, l’innovation, l’entreprise, les médias, la tech et même les loisirs.


Wikipédia

La célèbre encyclopédie en ligne gratuite et multilingue créée par Jimmy Wales et Larry Sanger le 15 janvier 2001, réunie des milliers de contributeurs à travers le monde qui corrigent, enrichissent les articles. La qualité d’un article repose sur la richesse et la diversité des contributions. Cette coopération numérique pour produire une œuvre commune est un véritable œuvre d’intelligence collective.

iNaturalist

L'Académie des sciences de Californie (l'Académie) et la National Geographic Society ont uni leurs forces pour améliorer iNaturalist - l'une des plateformes scientifiques citoyennes les plus puissantes au monde, qui relie les gens à la nature grâce à une technologie de pointe gratuite. Cela permet de couvrir des zones à une échelle que les scientifiques ne pourraient jamais espérer surveiller et fournir des informations à haute résolution sur ce qui vit sur notre planète. Entre 15 000 à 40 000 observations sont enregistrées par jour.

Linus, Firefox

Linux est un système d'exploitation Open Source et gratuit, c’est même le plus grand projet Open Source du monde. Ce type de logiciel est développé de manière collaborative et décentralisée. Tout le monde peut utiliser, étudier, modifier et redistribuer le code source, ou même vendre des copies du code modifié, tant que la licence reste la même. Diffusé depuis 2002, Mozilla Firefox est personnalisable grâce à des centaines d’extensions disponibles au téléchargement depuis le site officiel. Grâce aux milliers de contributeurs à ce logiciel libre, Firefox est en constante évolution et les mises à jour sont fréquentes.

ChronoFlex

Cette entreprise spécialisée dans les services de maintenance a adopté une approche collaborative pour résoudre les problèmes complexes de ses clients. En encourageant ses employés à partager leurs idées, à agir de manière transversale, à participer à des réunions de brainstorming régulières, elle a pu proposer des solutions innovantes et augmenter la satisfaction de sa clientèle.

Budgets participatifs

C’est un dispositif où les habitants d’une ville ou d’un territoire peuvent proposer et voter des projets financés par une partie du budget public. C’est un travail collectif pour améliorer le cadre de vie. Les citoyens votent pour les projets à financer. La décision finale ne vient pas d’un élu seul, mais d’un choix collectif.


  

La démocratie en suspens ? 

« La démocratie ne se limite pas au vote, elle suppose la participation active et continu des citoyens à la définition des choix collectifs. », soulignait Loïc Blondiaux, politologue français, spécialiste de la démocratie participative. L’intelligence collective ne s’oppose pas véritablement aux systèmes démocratiques, elle doit plutôt être vue comme un outil complémentaire. Malgré tout, elle bouscule de fait les codes de la démocratie traditionnelle et son système représentatif composé d’élus. Cela remet en cause l’idée que seuls les élus ont la légitimité de décider. En donnant une voix à tous et en reconnaissant la qualité de tous les savoirs, l’intelligence collective questionne le pouvoir de quelques-uns et ouvre une voie à la démocratie participative ou délibérative. Parfois, les deux systèmes peuvent clairement rentrer en conflit. La Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), lancée en 2019 en France, a été un exemple emblématique d’une démarche de démocratie participative où 150 citoyens tirés au sort ont été invités à proposer des mesures concrètes pour lutter contre le changement climatique. Or, parmi les 149 propositions émises par les citoyens, une enquête de journalistes publié en 2021 a montré que seules 15 propositions avaient fait l’objet d’une transposition législative par la suite.

 

L’intelligence collective présente également certaines limites. Par exemple, lorsque les participants cherchent à éviter les conflits ou à préserver l’harmonie du groupe, ils peuvent s’autocensurer ou suivre l’avis dominant, même s’il est erroné. C’est le phénomène bien documenté de groupthink, où la dynamique collective nuit à la créativité ou à la justesse des décisions. Aussi, dans son ouvrage, « The Net Delusion : The Dark Side of Internet Freeedom », l’essayiste et chercheur biélorusse, Evgeny Morozov, critique l’utopie technologique et le mythe selon lequel Internet favoriserait automatiquement l’intelligence collective : « Internet peut rendre les gens intelligents plus intelligents, mais aussi rendre les gens stupides encore plus stupides. ». Jaron Lanier, un des inventeurs de la réalité virtuelle dans les années 1980, s’attaque lui aussi à cette culture du web qui dilue la pensée individuelle et favorise le conformisme : « La sagesse des foules est bien souvent simplement l’ignorance des masses. » Enfin, dans certains cas, des processus ou des systèmes dits « participatifs » favorisant l’intelligence collective peuvent être manipulés ou instrumentalisés, soit pour faire valider des décisions déjà prises, soit pour donner une illusion de démocratie. Dans ces cas, l’intelligence collective devient un alibi plutôt qu’un réel levier de décision. Les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, et YouTube ont ainsi été accusés d'instrumentaliser l’intelligence collective pour influer sur les opinions politiques et les comportements des utilisateurs, souvent à des fins commerciales ou idéologiques. Ces plateformes collectent et exploitent les données personnelles des utilisateurs pour créer des algorithmes de recommandation qui privilégient les contenus les plus engageants, même s'ils sont faux, sensationnalistes ou polarisants.

 

  

L'Assemblée pour la transition écologique et sociale de l'INSA Lyon

En lançant en 2024 son Assemblée pour la transition écologique et sociale, l’INSA Lyon a elle aussi bousculé les codes et réinterrogé sa manière de prendre des décisions. Face aux limites planétaires et à un problème considéré comme systémique, l’école d’ingénieurs, déjà guidée par les valeurs humanistes et la prospective de Gaston Berger, a estimé qu’il était nécessaire de changer de logique et de recourir à l’intelligence collective pour franchir un nouveau cap sur les sujets de transition socio-écologique.

 

Après plusieurs mois de réflexion et de travail intense, les membres de l’Assemblée ont pu enfin livrer leurs 108 propositions. https://www.insa-lyon.fr/fr/actualites/l-assemblee-pour-transition-ecologique-et-sociale-l-insa-lyon-devoile-ses-108

 

« L’intelligence collective, c'est un sauf-conduit pour survivre quand on est une humanité qui doit se repenser. Faire ensemble et se rassembler pour voir différemment les choses, c’est trouver la voie de futurs souhaitables »

Mathieu Baudin, historien, Directeur de l’Institut des Futurs Souhaitables, interrogé à l’occasion de la première session de l’Assemblée pour la transition écologique et sociale de l’INSA Lyon le 27 mai 2024.

 





"Regarder un atome le change, regarder un homme le transforme, regarder l'avenir le bouleverse. Le monde des hommes est un monde en accélération constante. Dans un univers où tout se transforme si rapidement, la prévision est à la fois absolument indispensable et singulièrement difficile."

Gaston Berger

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