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Quand l’archéologie aide à penser le stockage des déchets nucléaires

  • Photo du rédacteur: Cécilia Di Quinzio
    Cécilia Di Quinzio
  • il y a 6 heures
  • 4 min de lecture

La transition énergétique ne se limite pas à produire une énergie bas carbone : elle impose d’assumer ses conséquences sur le très long terme. Le nucléaire, pilier de la décarbonation, soulève une question stratégique incontournable : comment garantir la sûreté du stockage des déchets radioactifs pendant des milliers d’années ? C’est à ce défi, aussi scientifique que sociétal, que répond la thèse de Zhixin Dong, doctorant chinois en cotutelle entre le laboratoire MatéIS [1] de l’INSA Lyon et l’Université de Tōhoku au Japon.


Analyse non invasive d’un artefact archéologique en laboratoire pour étudier sa corrosion sur le très long terme. © INSA LYON
Analyse non invasive d’un artefact archéologique en laboratoire pour étudier sa corrosion sur le très long terme. © INSA LYON

Son approche est radicalement originale : s’appuyer sur l’archéologie pour anticiper l’avenir. En étudiant des objets métalliques enfouis depuis plus de 1 200 ans, il apporte des données concrètes là où les modèles de stockage nucléaire manquent encore de recul temporel. À la croisée des sciences des matériaux, du patrimoine et des politiques énergétiques, ses travaux visent un objectif clair : réduire l’incertitude sur le comportement des conteneurs de déchets nucléaires à l’échelle du millénaire.


Anticiper le très long terme, un défi clé de la transition énergétique


Les déchets nucléaires à haute activité concentrent l’essentiel de la radioactivité produite par les centrales. Leur isolement doit être assuré sur des durées qui excèdent toute expérience industrielle. « Quand on parle d’activité, on parle de la quantité de radioactivité émise par un déchet. Plus elle est élevée, plus les exigences de sûreté sont strictes et impérieuses », rappelle Zhixin Dong.


Pour cela, la solution privilégiée par de nombreux pays repose sur le stockage géologique profond. En France, cette profondeur est d’environ 500 mètres, combinant plusieurs barrières de sûreté : le déchet vitrifié, un conteneur en acier, une barrière d’argile bentonitique et la roche hôte. Mais un défi demeure : les plus anciens déchets industriels n’ont que quelques décennies. Comment alors prédire le comportement de ces conteneurs sur mille ans et plus ?


L’archéologie comme laboratoire du temps long


Zhixin Dong, doctorant en cotutelle entre l’INSA Lyon et l’Université de Tōhoku. © INSA LYON
Zhixin Dong, doctorant en cotutelle entre l’INSA Lyon et l’Université de Tōhoku. © INSA LYON

Pour répondre à cette question, Zhixin Dong travaille sur des artefacts en fer datant de la période de Nara (710–794), une époque fondatrice de l’histoire japonaise. Ces objets,  façonnés par l’être humain et retrouvés lors de fouilles (une vis, une tête de marteau et une petite pièce métallique), ont environ 1 200 ans et ont donc déjà traversé des siècles d’enfouissement. « Nous cherchons à comprendre comment des matériaux évoluent sur des durées qui dépassent largement une vie humaine », explique-t-il.


Observer comment les métaux anciens ont résisté au temps permet d’anticiper ce qui pourrait arriver aux conteneurs de déchets nucléaires enfouis aujourd’hui. Ces artefacts constituent de véritables analogues naturels : ils ont évolué pendant des siècles dans des environnements souterrains, parfois comparables à ceux envisagés pour le stockage nucléaire.


Mesurer la corrosion sans abîmer les objets


L’étude d’objets patrimoniaux impose une contrainte essentielle : ils ne peuvent ni être découpés ni modifiés, alors que les méthodes classiques d’analyse de la corrosion sont le plus souvent invasives. « Dans le cas des artefacts archéologiques, il était hors de question d’enlever la couche de corrosion ou d’atteindre directement le métal », souligne le jeune chercheur. 


© INSA LYON
© INSA LYON

Sa thèse repose donc sur le développement d’une méthode totalement non invasive, basée sur la spectroscopie d’impédance électrochimique (EIS), qui permet d’analyser l’état de corrosion d’un matériau en déposant simplement un capteur à la surface de l’objet, permettant l’utilisation d’un électrolyte solide.


« On peut mesurer l’objet tel qu’il est, sans le détériorer, ce qui était indispensable pour travailler sur des pièces protégées », précise le doctorant. Utilisable directement sur site, ce dispositif s’adapte à des surfaces irrégulières ou inclinées et évite le recours aux électrolytes agressifs, tout en respectant les exigences de conservation du patrimoine.


Des résultats concrets pour la sûreté nucléaire


La méthode a été validée progressivement sur des systèmes de complexité croissante, depuis des échantillons modèles jusqu’à des matériaux naturellement corrodés, avant d’être appliquée aux artefacts archéologiques de Nara. Les résultats montrent que le capteur est capable de distinguer des couches de corrosion d’épaisseur comparable mais de structures différentes, notamment plus ou moins poreuses. 


© INSA LYON
© INSA LYON

Ces données fournissent des références expérimentales précieuses pour étudier le vieillissement des matériaux sur des durées impossibles à reproduire en laboratoire. En milieu anaérobie, c’est-à-dire sans oxygène (une condition recherchée après l’enfouissement géologique profond), la corrosion reste en effet très limitée, même sur des périodes supérieures à mille ans.


Les artefacts ayant évolué dans des conditions comparables deviennent ainsi des objets d’étude uniques, à la fois pour mieux comprendre la conservation du patrimoine et pour alimenter les modèles prédictifs utilisés dans le stockage des déchets nucléaires, contribuant à éclairer les décisions publiques liées à la transition énergétique.


En reliant archéologie et ingénierie des matériaux du nucléaire, ces travaux apportent des bases scientifiques solides pour mieux anticiper le comportement des matériaux sur le très long terme. Ils contribuent à renforcer la sûreté du stockage des déchets radioactifs, tout en fournissant des éléments concrets pour éclairer le débat public et accompagner les décisions liées à la transition énergétique.


[1] MatéIS - Matériaux : Ingénierie et Science - UMR 5510, sous la tutelle de INSA Lyon, de Université Claude Bernard Lyon 1 et du CNRS.


"Regarder un atome le change, regarder un homme le transforme, regarder l'avenir le bouleverse. Le monde des hommes est un monde en accélération constante. Dans un univers où tout se transforme si rapidement, la prévision est à la fois absolument indispensable et singulièrement difficile."

Gaston Berger

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