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Microplastiques : pourquoi sont-ils partout, même dans les bouches d'égout ?

Les bouches d’égout seraient-elles gardiennes défaillantes d’une pollution purement anthropique, qui a désormais franchi les barrières de nos corps humains ? Invisibles à l’œil nu mais omniprésents, les microplastiques s’infiltrent partout, jusque dans les entrailles de nos villes. Si l’on sait le plastique très présent dans les milieux marins, jusqu’à constituer des continents, on connaît moins son voyage insidieux depuis les bouches d’égout jusqu’aux écosystèmes aquatiques, sous la forme de microparticules. Pourquoi cette pollution est-elle plus présente en milieux urbains ? Quelles en sont les principales sources ? Quels sont les facteurs qui influencent leur transport dans les eaux pluviales ? Comment arrivent-ils jusqu’au milieu naturel ?


Zoé Iannuzzi, en thèse au laboratoire DEEP (1) de l’INSA Lyon et au LEHNA (2) à l’ENTPE, s’intéresse de près aux origines de cette pollution en milieu urbain. À différentes échelles du territoire, elle a observé la présence de microplastiques, jusqu’à remonter à leurs portes d’entrées favorites : les avaloirs. Une enquête pluridisciplinaire originale pour les hydrologues urbains dont les recherches se sont souvent concentrées sur l’exutoire des bassins versants et un peu moins sur les points d’entrée des polluants.

 

L’étude des microplastiques : une science récente

Dans l’histoire du plastique, la prise de conscience d’une pollution systémique aux microparticules est relativement récente. Mesurant entre 5 millimètres et 1 micromètre, la présence de microplastiques est mise en évidence au début des années 1970, dans les milieux marins. Plus récemment, la découverte de gyres de plastiques dans les océans Atlantique et Pacifique confirme l’existence d’une pollution chronique de notre écosystème. Leur origine continentale ne fait plus de doute : selon l’Office Français pour la Biodiversité, 80% des pollutions des océans proviennent du milieu terrestre. Ils sont issus de la fragmentation d’objets plus grands ou produits intentionnellement pour des usages industriels ou domestiques. « Beaucoup d’études ont été réalisées sur la contribution des grands fleuves internationaux à polluer les mers. Puis, les recherches se sont étendues aux villes pour démontrer que l’émission de microplastiques est principalement liée aux activités urbaines » introduit Zoé Iannuzzi.

 

S’il est encore difficile de déterminer leurs effets avec exactitude, cette pollution aura des conséquences sur les écosystèmes et les organismes vivants ; des microparticules ont déjà été décelées dans le sang humain (3). « Comme pour toute activité de toxicologie, il est difficile d’établir un lien entre la présence d’une pollution particulaire et les effets sur un organisme, mais la recherche progresse. Dans tous les cas, nous savons qu’il existe une hyper accumulation dans l’environnement, dans tous les corps vivants, et dans la chaîne trophique. Au-delà des sols et de l’eau, on peut également les respirer, y compris dans des zones où il n’y a pas de présence humaine », ajoute Rémy Bayard, Professeur des universités au laboratoire DEEP et co-directeur (4) de la thèse de Zoé Iannuzzi.


Les recherches ont démontré que les émissions de microplastiques étaient principalement liées aux activités urbaines.

Bassins de rétentions : des exutoires réceptacles de polluants

Au niveau des réseaux dits séparatifs, lors de fortes pluies et pour éviter l’inondation des villes, les eaux pluviales sont récoltées dans des bassins de rétention. Pour le cas des réseaux dits unitaires, dans le but d’éviter la surcharge des stations d’épuration, les déversoirs d’orage sont souvent mis en place. Ces zones sont particulièrement chargées de matières en suspension. En lien avec la Métropole de Lyon, Zoé Iannuzzi observe, pendant la première partie de ses recherches, ces portes d’entrées de polluants vers l’environnement. « Ces bassins permettent de récolter la pollution générée à la source ; c’est une bonne manière d’avoir une première idée des stocks de microplastiques qui peuvent rejoindre les bassins lyonnais, et de permettre l’analyse des risques de leur migration jusqu’aux nappes phréatiques » explique Zoé Iannuzzi. « Par la suite, nous avons cherché à déterminer si les typologies d’occupation des sols avaient une influence sur les concentrations en microplastiques présents dans ces bassins : nous avons observé que les stocks de ces microparticules étaient bien plus élevés dans les zones industrielles et dans les zones urbaines denses. »



Le Bassin Django Reinhardt, à Chassieu.
À Chassieu, le bassin Django Reinhardt constitue une source de données importante.

 

Parmi les lieux d’étude, le bassin lyonnais reste un terrain de jeu à ciel ouvert pour les hydrologues. À Chassieu, le bassin Django Reinhardt constitue une source de données importante, relevées dans le cadre des recherches de l’OTHU, l’Observatoire de Terrain en Hydrologie Urbaine. « En s’intéressant au transport des microparticules de plastiques via les eaux pluviales, nous avons pu profiter de l’infrastructure autour de ce bassin, monitoré depuis plusieurs années. Nous avons échantillonné 5 pluies afin d’étudier les liens entre le débit, la turbidité de l’eau et le taux de microplastiques », explique la doctorante. « Nous avons constaté que plus le débit est élevé et l’eau est trouble, plus la concentration en microplastiques est importante. »


 

Les prélèvements dans les avaloirs et leur laborieuse analyse

Zoé Iannuzzi et ses directeurs de thèse ont fait le pari de remonter un peu plus en amont du cycle de l’eau pluviale afin d’identifier les sources de pollutions. Après avoir sélectionné 8 avaloirs, ces bouches d’égout qui récoltent les eaux de pluie dans les rues, la doctorante soulève leurs grilles pour en prélever des échantillons. « Après des évènements pluvieux, j’ai réalisé des prélèvements pour brosser un portrait des caractéristiques des microplastiques. L’eau n’a pas d’autre choix que de passer par les avaloirs pour rejoindre les réseaux séparatifs transportant uniquement les eaux pluviales ; c’est une porte d’entrée pour cette pollution, qui s’engouffre vers le réseau. C’est un lieu d’échantillonnage tout à fait utile ; un premier lieu de stockage pour caractériser les polluants collectés dans ces zones par temps de pluie » ajoute Zoé Iannuzzi.


L'analyse des échantillons.
L'analyse des échantillons n'est pas une mince affaire : il faut extraire les microplastiques dans des volumes contenant beaucoup de matières organiques.

Après collecte, les échantillons de la doctorante sont analysés, pour quantifier les microparticules ; une tâche difficile quand il s’agit de particules de faibles dimensions et d’une grande diversité. « Dans un volume d’eau, il faut réussir à extraire ces particules de matières organiques synthétiques, sans autres particules minérales ou matières organiques naturelles. Les microplastiques sont un des seuls polluants pour lesquels il n’existe pas de protocole international unique sur les conditions d’extraction et d’analyse. Le Laboratoire d'écologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA) a développé un protocole analytique, certes un peu lourd et chronophage, mais qui fonctionne bien », ajoute Rémy Bayard, également spécialiste des interactions.

 

Trois sources urbaines des microplastiques

Les observations préliminaires avaient démontré que les stocks de microplastiques étaient plus élevés dans les zones industrielles et les zones urbaines denses. Parmi les potentiels émetteurs de ces microparticules, trois grands secteurs : le trafic routier, les activités industrielles et les bâtiments. « Pour les voitures, les microplastiques peuvent provenir des pneus, ou des peintures sur les véhicules. Cette source est d’autant plus accentuée avec la présence de poids lourds dans les zones industrielles. Ensuite, les activités industrielles, par la nature de l’activité ou l’entreposage de décharges sur les sols peuvent contribuer à cette pollution. Enfin, le secteur de la construction est responsable de la contamination de microplastique notamment à cause de l’enveloppe des bâtiments, les fenêtres en PVC ou les armatures en tôle. La pluie et le soleil entraînent un phénomène d’érosion et de lessivage, avec un transfert au sein des eaux de ruissellement en temps de pluie » précise Zoé. microplastiques égout


"Parmi les potentiels émetteurs de ces microparticules, trois grands secteurs : le trafic routier, les activités industrielles et les bâtiments."

 

Une approche pluridisciplinaire, essentielle en matière de transition écologique

Économiste de formation et titulaire de deux masters pluridisciplinaires en sciences de l’environnement, Zoé Iannuzzi détient un parcours atypique qui apporte une grande plus-value à ses recherches de thèse, soulignent ses encadrants. « Bénéficier d’un regard d’économiste sur une pollution purement anthropique, soit directement liée à notre économie, est très riche. Zoé a notamment travaillé sur l’analyse des sources de micropolluants d’un point de vue économique, avec le professeur Philippe Polomé, co-encadrant de la thèse, qui est économiste et statisticien. Elle a aussi pu compter sur l’expertise de Rémy Bayard sur les interactions et sur mon regard sur l’hydrologie urbaine. Cette pluridisciplinarité a été très puissante et Zoé a su la mobiliser pour traiter un sujet de thèse très complexe » explique Gislain Lipeme, professeur des universités, co-encadrant de la thèse et directeur adjoint du laboratoire DEEP. Une approche intéressante au regard des enjeux socio-écologiques. « Je crois qu’en matière de recherche, les marges de progrès sont beaucoup aux interfaces, aux confins de la pluridisciplinarité et la transition écologique nous oblige à changer de regard sur la façon dont nous exerçons nos recherches. Nous sommes obligés de penser systémique et complexe », conclut Rémy Bayard.

 



 

 


(1) DEEP : laboratoire Déchets Eaux Environnement Pollutions (INSA Lyon)

(2) LENHA : Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (CNRS/ENTPE/Lyon 1/INRAE)

(3) Discovery and quantification of plastic particle pollution in human blood

Author links open overlay panel (Heather A. Leslie, Martin J.M. van Velzen, Sicco H. Brandsma, A. Dick Vethaak, Juan J. Garcia-Vallejo, Marja H. Lamoree)

(4)La thèse de Zoé Iannuzzi est co-dirigé avec Brice Mourier de LENHA, à l’ENTPE.

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