Presque chaque été désormais, les villes étouffent sous des chaleurs accablantes. Si le début de l’été 2024 a offert des températures en dessous des normales de saison en France, plusieurs pays d'Europe n’ont pas été épargnés par les fortes chaleurs, et les projections climatiques sont formelles : une irrémédiable hausse des températures moyennes, et une intensification des vagues de chaleur et une augmentation de leur durée et fréquence sont à prévoir dans les années à venir. Lucie Merlier, diplômée INSA du département génie civil et génie urbain et maîtresse de conférence au CETHIL(1) étudie de près le phénomène de surchauffe urbaine.

Lyon, sous la chaleur (©AdobeStock)
La surchauffe urbaine : les causes
En ville, la chaleur accumulée le jour ne se dissipe pas facilement la nuit. Cette surchauffe nocturne, connue sous le nom de phénomène d’ilot de chaleur urbain, est induite par différents facteurs : la morphologie des rues, les matériaux utilisés et les surfaces comme les revêtements sombres de chaussée qui absorbent et stockent la chaleur, la faible part donnée au végétal dans l’espace, ou la concentration des activités humaines. « L’agencement des bâtiments tend à piéger les rayonnements, notamment solaires, et à réduire l’ouverture au ciel, qui joue pourtant un rôle important dans le rafraichissement. Plus la ville est dense, moins l’énergie stockée la journée peut être renvoyée vers le ciel la nuit, ce qui affecte le rafraichissement nocturne. De la même façon, des bâtiments limitent le passage du vent et donc, la ventilation de la canopée urbaine », explique Lucie Merlier.
Plus largement, la surchauffe urbaine est une problématique qui s’exprime aussi le jour. Elle se ressent alors dans les espaces minéraux, au sein desquels une surexposition aux rayonnements solaires due à leur réflexion par des surfaces urbaines, ou une exposition à des surfaces chaudes, peuvent intensifier l’inconfort des personnes, en particulier là où la végétation manque. « En plus de l’ombrage qu’apportent les arbres, l’évapotranspiration des plantes et l’évaporation de l’eau contenue dans les surfaces naturellement poreuses limite les surchauffes en absorbant l’énergie solaire sans échauffement ». Enfin, de jour comme de nuit, la ville concentre des activités émettrices de chaleur. « Les rejets de chaleur par les systèmes de climatisation ou le trafic par exemple constituent des sources directes », ajoute la maitresse de conférences du CETHIL.
Les outils d’évaluation
Pour mesurer les températures et identifier les zones particulièrement exposées à la chaleur à l’échelle d’un quartier, plusieurs moyens sont à disposition des chercheurs et des experts. « Au sein du CETHIL, nous mobilisons trois techniques pour évaluer le comportement thermique de quartiers et les surchauffes associées. La première consiste à déployer des capteurs qui enregistrent les variations de température, d'humidité, de vent et de rayonnement dans différents points de la ville. Associées à ces mesures, les modélisations et simulations numériques, moyennant une expertise adaptée, apportent des données complémentaires et peuvent permettre de se projeter dans le futur. Et puis, des enquêtes qualitatives et des observations participantes auprès des usagers révèlent l’impact de la chaleur sur leur quotidien et leur bien-être, et mettent en avant les adaptations réalisées. Cet aspect est particulièrement important pour pouvoir mieux protéger les populations vulnérables, comme les personnes âgées par exemple, et nécessite des approches interdisciplinaires. Pour cela, nous collaborons notamment avec des anthropologues de l’environnement et de la santé », ajoute l’ingénieure INSA. Précieuses, ces données permettent aussi de sensibiliser les citadins et les acteurs du territoire sur le phénomène de surchauffe urbaine : une étape indispensable pour aller vers des solutions qui rendent la ville plus fraîche, vivable et agréable.
Coup de frais sur la ville
Face à ce défi, il existe plusieurs solutions pour limiter les surchauffes et/ou en atténuer les effets délétères. Les solutions « grises », telles que l'adaptation de la morphologie urbaine et l'utilisation de matériaux réfléchissants, visent à réduire l'absorption et la rétention de chaleur. Aussi, les solutions « vertes et bleues » qui reposent sur la végétalisation et l'intégration de plans d'eau, offrent des espaces de climatisation naturelle. Enfin, les solutions « douces », liées au comportement des personnes et des organisations sociales permettent de limiter les sources de chaleur directes ou de s’adapter pour limiter l’exposition aux plus fortes chaleurs. « Cela peut se matérialiser par la réduction du trafic routier ou l’ajustement des horaires de travail pour minimiser l’exposition des personnes aux horaires les plus chauds par exemple… et/ou permettre la sieste ! »
À Lyon, la requalification de l’avenue Garibaldi avait fait office de projet exemplaire, en 2016. Le projet d’aménagement intégrait plusieurs solutions de rafraîchissement, dont la végétalisation de bandes récupératrices d’eaux de pluie, l’utilisation de bétons clairs et la réduction du trafic automobile par la limitation des voies de circulation. Les premiers résultats avaient montré que « pendant les périodes caniculaires, la présence de la végétation fait baisser la température ambiante de 1,8 à 2,3°C en moyenne absolue par rapport à la station Météo de Lyon-Bron(2) » Les études sur la Métropole de Lyon se poursuivront d’ailleurs dans les prochaines années, notamment avec les chercheurs du CETHIL, en collaboration avec des chercheurs en écologie, sciences humaines et sociales et sciences de la santé ainsi que différentes parties prenantes. « La problématique des surchauffes urbaines nécessite des approches interdisciplinaires et collaboratives. Bien au-delà d’une problématique thermique et énergétique, les surchauffes urbaines sont étroitement liées aux enjeux écologiques et environnementaux, d’urbanisme, de santé et de bien-être des habitants, nécessitant ainsi de développer des approches systémiques, aussi bien en recherche que dans les projets de renouvellement urbain », conclut Lucie Merlier.
(1) CETHIL : Centre d'Énergétique et de Thermique de Lyon (INSA Lyon/Lyon 1/CNRS/UCBL)
(2) https://librairie.ademe.fr/ged/5604/recueil-rafraichissement-urbain-011441.pdf (« Rafraîchir les villesdes solutions variées », p.22)