Dans de nombreuses petites communes en France, les eaux usées sont traitées grâce à des techniques sobres, souvent des filtres plantés de roseaux. Loin de l’image d’une lubie d’écologistes isolés, ces techniques équipent plus de 5 000 stations d’épuration sur le territoire.
Les pénuries d’eau de plus en plus fréquentes – et sévères – qui nous alertent sur la disponibilité des ressources en eau accentuent leur vulnérabilité aux pollutions industrielles, agricoles et domestiques. Pour protéger ces ressources indispensables, il faut adapter nos systèmes de production sur le long terme, éviter le gaspillage et réduire à la source l’émission de polluants (nitrates, phosphates et résidus médicamenteux et cosmétiques notamment).
Mais il faut aussi à plus court terme traiter les effluents générés par les activités humaines, en particulier les eaux usées domestiques provenant de nos cuisines, salles de bain et toilettes. Ces traitements sont encadrés par la loi à l’échelle européenne et nationale, accompagnée d’arrêtés qui fixent les objectifs de traitement et les seuils de rejet. Ils sont mis en place dans des stations d’épuration mettant en œuvre, selon les caractéristiques du territoire, des procédés intensifs ou plus sobres (dits également « extensifs » mais dont le principe de fonctionnement repose essentiellement sur l’activité de bactéries qui ingèrent de nombreux polluants.
L’objectif du traitement des eaux usées est de les rendre moins polluantes, mais aussi de régénérer des ressources : lorsque la réglementation le permet, l’eau traitée peut être valorisée dans des usages domestiques ou pour l’irrigation par exemple. D’autres ressources à haute valeur ajoutée peuvent être extraites, comme les nitrates et les phosphates, utilisables comme fertilisants.
Filtres plantés de roseaux ou stations d’épuration intensives ?
Les territoires urbains densément peuplés utilisent des stations d’épuration collectives intensives de capacité de traitement élevée adaptée aux forts volumes d’eaux usées qu’ils génèrent. Leur efficacité tient à des consommations élevées en énergie, en réactifs, et en équipements compacts relativement sophistiqués.
Les territoires ruraux ou semi-ruraux ont des contraintes d’espace moindres et optent soit pour des techniques d’assainissement non collectives (fosses septiques notamment), soit pour des stations d’épuration collectives de capacité de traitement réduite adaptée au nombre d’habitations raccordées. Les stations d’épuration de capacité de traitement équivalent à 2 000 habitants ou moins, représentent plus de 80 % du nombre total de stations. Parmi celles-ci, plus de la moitié (59 %) sont des stations intensives basées sur les mêmes principes que leurs cousines des grandes villes. Le reste est représenté par des stations dites extensives, moins sophistiquées que les stations intensives et avec des coûts d’investissement et d’exploitation plus faibles, mais qui garantissent des performances d’épuration poussée. Les filtres plantés de roseaux représentent plus de 50 % du nombre de ces stations extensives, le reste étant constitué par des lagunes ou autres types de techniques.
Les dessous des filtres plantés sont ici visibles alors que les roseaux sont encore petits, au tout début du fonctionnement de l’installation après la plantation. Cette station d’épuration est à « écoulement vertical » : au premier plan, le premier étage de filtration et à l’arrière-plan, le second étage. À la surface des filtres, le réseau d’aspersion des eaux usées. (Mathieu Gautier, fourni par l'auteur)
Les atouts des filtres plantés de roseaux
Les systèmes d’épuration par filtres plantés de roseaux sont des « solutions basées sur la nature », c’est-à-dire que leur principe de fonctionnement est inspiré de celui d’écosystèmes naturels : les marais. Ils présentent de nombreux atouts techniques :
De bonnes à très bonnes performances d’épuration, notamment vis-à-vis des matières en suspension, de la charge organique et azotée, et dans une moindre mesure du phosphore
Un niveau de technicité modéré dont la mise en œuvre et la maintenance sont compatibles avec les moyens humains, techniques et financiers mobilisables par les petites communes,
Une consommation énergétique et en réactifs faible que celle des stations intensives.
Une excellente intégration paysagère.
Les filtres plantés de roseaux peuvent reproduire les fonctions écosystémiques des zones humides naturelles qu’ils émulent – marais, tourbières, mares, mangroves. En effet, grâce à leur position particulière à l’interface des trois milieux physiques de la planète (eau, terre, air), ils abritent une biodiversité considérable, régulent les transferts hydriques et la température grâce au phénomène d’évapotranspiration… et contribuent à l’épuration des eaux.
Couvert végétal des filtres plantés de roseaux aspergés d’eau à filtrer. (Mathieu Gautier, fourni par l'auteur)
Comment fonctionnent les filtres plantés ?
Le système de traitement par filtres plantés de roseaux comporte des étapes successives simples, mais dont l’efficacité exige une ingénierie maitrisée.
Le système est constitué d’un ou plusieurs filtres en série, isolés du sol par une « géomembrane » et remplis de couches de matériaux granulaires au travers desquels s’écoulent les eaux usées à traiter – la taille des grains augmente avec la profondeur. Les roseaux sont plantés à la surface des filtres. Ces végétaux à croissance rapide développent un réseau racinaire dense qui facilite l’écoulement hydraulique et le transfert d’oxygène, et crée des conditions favorables à l’activité des microorganismes responsables de l’épuration.
Les eaux usées subissent d’abord un simple « dégrillage » afin de prévenir le colmatage des filtres et de protéger les pompes utilisées.
Le traitement se fait ensuite par filtration physique à la surface du massif poreux qui retient les matières en suspension et certains micropolluants, qui sont capturés à la surface des particules.
Une microflore très riche se développe dans le milieu filtrant, composée principalement de bactéries aérobies, c’est-à-dire de bactéries qui utilisent le dioxygène pour oxyder les matières des eaux usées et les minéraliser en dioxyde de carbone et en eau. Ces bactéries sont présentes naturellement dans les eaux usées ; les plus adaptées aux conditions au sein du filtre prédominent en consommant pour se multiplier la charge organique et les polluants présents dans l’eau. De cette manière, la pollution des eaux est transformée en de nouvelles cellules microbiennes qui sont retenues dans le milieu filtrant alors que l’eau épurée le traverse.
Les systèmes dits « à écoulement vertical » sont les plus utilisés en France. Ils sont classiquement constitués de deux étages de filtration. Chaque étage de filtre est composé de plusieurs cellules indépendantes. On asperge régulièrement à la surface des filtres de la première cellule avec un volume donné d’eaux usées pendant quelques jours ou une semaine ; puis c’est la deuxième cellule qui est alimentée, et enfin la troisième. L’alternance saturation-désaturation en eau est particulièrement favorable aux microorganismes impliqués dans l’épuration. L’eau sortant du premier étage est collectée par des drains au fond des cellules, et traitée sur le second étage suivant le même protocole.
L’efficacité d’épuration des filtres plantés de roseaux, leur niveau modéré de sophistication technique, leur faible coût d’exploitation et d’investissement, et leur excellente intégration paysagère sont les atouts majeurs de ce système d’épuration extensif qui offre en outre d’autres fonctions écosystémiques au-delà de leur fonction épuratoire principale. Mais ces systèmes sont appelés à évoluer pour s’adapter aux pollutions émergentes et aux exigences croissantes d’épuration.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.
Par Rémy Gourdon
Enseignant-chercheur, biophysicochimie environnementale, INSA Lyon – Université de Lyon
Par Mathieu Gautier
Maître de conférences, HDR, INSA Lyon – Université de Lyon