Le caoutchouc naturel : une alternative durable pour la réfrigération du futur ?
- amellouzguiti
- il y a 1 jour
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Que ce soit pour des usages domestiques ou industriels, ils sont devenus omniprésents dans notre quotidien. Dans le transport frigorifique, pour climatiser les bâtiments, dans nos réfrigérateurs, les systèmes de réfrigération sont partout. Selon les derniers chiffres disponibles (1), on comptait en 2020 environ 3,6 milliards en service dans le monde. Et ce nombre pourrait atteindre plus de 10 milliards d’unités d’ici 2050 si les tendances actuelles se poursuivent, principalement à cause de la croissance économique, de l’urbanisation et de l’augmentation des températures. Problème : tous ces systèmes fonctionnent aujourd’hui sur la base de gaz réfrigérants qui contribuent de manière non négligeable au réchauffement climatique. Entre France et Japon, le projet de recherche Recool, soutenu par le CNRS, mené par Gael Sebald, Directeur du laboratoire international ELyTMaX pourrait représenter dans les prochaines années une alternative sérieuse et durable. Explications.
Le caoutchouc : des pouvoirs insoupçonnés
Très connu pour son utilisation dans le secteur automobile pour la production de pneumatiques en particulier (70% de la production mondiale), le caoutchouc naturel l’est beaucoup moins pour ses qualités élastocaloriques. « Ce sont des matériaux dont l’entropie (degré de désordre d’un système) peut être modifiée par autre chose que la température. En d’autres termes, on va exercer sur le caoutchouc une contrainte mécanique pour modifier son entropie et générer des variations de chaleur réversibles. Lorsqu’on l’étire, le caoutchouc chauffe et lorsqu’on le relâche, il récupère de la chaleur sur son environnement ambiant et provoque un refroidissement qui peut s’élever de 10 à 15°C en dessous de la température ambiante », décrit Gaël Sebald, qui a commencé ses recherches sur les polymères élastocaloriques dès 2010 avec ses collègues du laboratoire LGEF de l’INSA Lyon. A la tête du laboratoire international ELyTMaX au sein de l’université de Tohoku (Japon) depuis 2017, Gaël Sebald, peaufine les recherches avec ses collègues français et japonais autour de ce concept révolutionnaire de réfrigération qui après avoir été scientifiquement éprouvé (2) se trouve en phase de projet depuis 2023 sous le nom de « Recool », dans le cadre du programme de prématuration technologique du CNRS.

Kigali et la fin des HFC
Dans le sillage de ces recherches novatrices et prometteuses, un impératif écologique et des normes légales de plus en plus fortes vis-à-vis des appareils de réfrigération. Un contexte porteur selon le scientifique. « Il y a clairement eu un regain d’intérêt pour des solutions de réfrigération alternatives avec les enjeux environnementaux », assure Gaël Sebald. Et le scientifique d’ajouter : « Bien que certaines recherches soient en cours, on a bien du mal à développer une nouvelle génération de gaz moins nocifs pour l’environnement qui puissent venir remplacer ceux présents dans nos systèmes actuels ». « R-134a », « R-410A » et « R-32 ». Derrière ces noms barbares, les hydrofluorocarbures (HFC), des gaz indispensables au procédé de réfrigération, qui se sont imposés à l’échelle industrielle dès les années 1990 pour remplacer les chlorofluorocarbures (CFC) et les hydrochlorofluorocarbures (HCFC) progressivement interdits par le protocole de Montréal de 1987 pour leurs effets sur la couche d’ozone. Devenus norme mondiale dès les années 2000 dans les climatiseurs, les réfrigérateurs, la chaîne du froid industriel, les HFC ne contiennent pas de chlore et n’ont donc plus d’incidence sur la couche d’ozone.Mais en 2007, le 4ᵉ Rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) tire la sonnette d’alarme car ces gaz frigorigènes, qui continuent de s’échapper des systèmes pendant leur durée de vie et surtout en fin de vie, ont un impact non négligeable sur le réchauffement climatique : « les HFC (dont le pouvoir réchauffant pour la planète est plusieurs milliers de fois supérieur à celui du CO₂) pourraient représenter jusqu’à 9 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050 si rien n’est fait ». En 2016, à Kigali (Rwanda), les autorités signent alors un protocole (3) imposant notamment de réduire de 85% les HFC dans les pays développés d’ici à 2036 par rapport à la moyenne 2011-2013.

Une ressource abondante
Pour remplacer ces gaz réfrigérants, l’utilisation de caoutchouc naturel se présenterait comme une solution potentiellement tout aussi efficace et beaucoup plus durable. « Chaque année nous produisons à l’échelle mondiale environ 15 millions de tonnes de caoutchouc naturel. C’est dix fois plus que la production de gaz réfrigérants. A minima, nous avons d’ores et déjà les ressources pour développer le concept à l’échelle industrielle. Le caoutchouc est biosourcé, son coût est faible, et ses propriétés élastocaloriques sont prometteuses, c’est pour ça qu’il faut persévérer dans ce domaine de recherches », insiste Gaël Sebald. En attendant un développement plus large, les limites techniques restent encore importantes pour pouvoir proposer un refroidissement important et efficace. « A ce stade, sur notre système, on peut seulement générer 1 à 2 watts de réfrigération maximum avec 10 grammes de caoutchouc », reconnaît le scientifique. Sans commune mesure, impossible de rivaliser avec un climatiseur classique vendu sur le marché aujourd’hui, d’environ 2000 watts, capable de refroidir une pièce de 20m2 en quelques minutes seulement. Et le Directeur du laboratoire international ELyTMaX de préciser également : « Le caoutchouc est un isolant thermique. Les variations de chaleur induites par la contrainte mécanique se produisant dans tout son volume, il faut un certain temps pour que la chaleur diffuse et puisse être échangée l’environnement ambiant. Cela représente un enjeu important pour la conception du système ».
Souffler le chaud et le froid
Au-delà des limites techniques, d’autres enjeux entrent en résonnance avec les recherches en cours du laboratoire. Car générer du froid, que ce soit sur la base d’un gaz réfrigérant ou à partir du caoutchouc naturel, nécessite malgré tout de l’électricité. L’augmentation de l’intensité, de la durée et de la fréquence des vagues de chaleur à l’échelle mondiale laisse présager une demande accrue en la matière. Selon les scénarios de l'Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande en électricité pour le refroidissement pourrait ainsi augmenter de 45 % d'ici 2050 par rapport aux niveaux de 2016 (4). « La réfrigération est très importante pour conserver les aliments et les médicaments. Et la climatisation deviendra sans doute vitale dans un certain nombre de pays qui dépassent de plus en plus régulièrement un nombre de jours pendant lesquels température et humidité élevées dépassent le seuil critique de viabilité pour l’être humain », abonde Gaël Sebald. De quoi poser encore de sérieux défis énergétiques en particulier aux pays dont le mix électrique dépend fortement des énergies fossiles. Enfin, ces systèmes réfrigérants, fonctionnent selon un principe fondamental de rejet de la chaleur, posant également la question du bien-être collectif en particulier dans les grandes villes où chaque dixième de degrés supplémentaires peuvent accroître l’îlot de chaleur urbain. Au carrefour d’enjeux environnementaux et sociétaux, nul doute que la climatisation continuera de souffler le chaud et le froid ces prochaines années à l’aune d’un défi encore plus large, celui de l’adaptation de nos sociétés au changement climatique.
(1) Rapport de synthèse du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) et de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).https://www.unep.org/fr/actualites-et-recits/communique-de-presse/un-refroidissement-respectueux-du-climat-pourrait-reduire
(2) High-performance polymer-based regenerative
elastocaloric cooler : https://hal.science/hal-04083991v1/document
(3) Amendement de Kigali : https://www.ccacoalition.org/fr/news/kigali-amendment-comes-force
(4) Rapport de l’AIE : https://iea.blob.core.windows.net/assets/0bb45525-277f-4c9c-8d0c-9c0cb5e7d525/The_Future_of_Cooling.pdf