Prisés pour leur stabilité chimique et leur haute résistance, les matériaux silicones sont omniprésents dans notre quotidien. Toutefois, une fois usagés, peu de chance pour que ceux-ci soient recyclés car l’incinération et l’enfouissement sont privilégiés. Pour François Ganachaud, chercheur au laboratoire Ingénierie des Matériaux Polymères (IMP) (2), le véritable enjeu de leur recyclage réside autant dans le procédé que dans la chaîne logistique en amont de celui-ci.
Avec une société spécialisée dans les silicones pour manchons orthopédiques, COP Chimie, l’IMP tente de donner une autre vie aux silicones issus des déchets de fabrication, à travers une filière de recyclage des rebuts.
Le recyclage du silicone : énergivore ?
Polymère connu pour ses propriétés de stabilité et de résistance, le silicone est un matériau très indiqué en intégration dans des orthèses ou des prothèses « En orthopédie, l’intérêt du silicone est multiple, en particulier pour les membres résiduels des personnes amputées : c’est une matière qui adhère bien à la peau, sans la léser, qui est souple et permet donc une transition confortable entre la peau et la partie rigide de la prothèse » explique François Ganachaud. Leur recyclage chimique, tel qu’envisagé aujourd’hui par la plupart des acteurs, est onéreux et énergivore. Il consiste à chauffer la matière réduite en granules, à haute température et en présence de différents acides ou bases, pour casser ainsi les liaisons moléculaires et revenir à la molécule de départ. « Une fois ces cycles reformés et purifiés, il faut à nouveau refaire le polymère puis le matériau. C’est à la fois long et coûteux. »

« Face à l’enjeu énergétique qu’implique la dépolymérisation des silicones, nous proposons une autre alternative. Et si, au lieu de dégrader la matière pour revenir au monomère, on préférait simplement dissoudre le matériau afin de réutiliser ce nouveau mélange plus rapidement ? En dégradant sélectivement la matière, on utilise moins d’énergie. Après plusieurs expérimentations, nous avons prouvé que n’importe quel type de silicone, pouvait être reversé de cette façon(2). Le procédé est intéressant, mais doit maintenant être mis en œuvre à échelle industrielle pour montrer toute sa potentialité » prévient François Ganachaud.
Une récolte de la matière première difficile
« Comme souvent en matière de recyclage, la question qui revient systématiquement est la source de matière première. Comment faire pour disposer d’une quantité importante de matériaux de qualité ? ». Parmi les différents acteurs de la chaîne logistique nécessaire au recyclage des polymères : les producteurs, les transformateurs et les utilisateurs. « Pour les premiers, le procédé est facile à intégrer dans la chaîne de production car ce sont eux qui synthétisent les silicones. En revanche, il n’est pas évident pour les transformateurs, c’est-à-dire les entreprises fabriquant des objets à partir de la matière première, de réutiliser les déchets. Souvent en quantités moindres, la législation n’impose pas de recyclage de ces matières, il est donc plus simple de les jeter que de les gérer industriellement. »
François Ganachaud travaille depuis plusieurs années avec l’entreprise COP Chimie, spécialisée dans la production et la formulation de polymères pour l’orthopédie. Entre les deux partenaires, l’idée de la mise en place d’une filière nationale de recyclage émerge rapidement. « Cela faisait plusieurs années que l’entreprise, en plus de réutiliser ses chutes de matériaux, avait pour projet de fédérer la collecte des manchons utilisés dans les prothèses. Faute de filière existante, COP Chimie a lancé un appel national auprès des orthoprothésistes français pour récupérer les manchons usagés. C’est une initiative originale, fédératrice et très bien perçue par le métier. »
Une nouvelle voie de valorisation
Parallèlement au recyclage chimique doux, l’équipe de l’IMP travaille sur un nouveau projet de recyclage thermique, en partenariat avec la plateforme technologique d’Insavalor, Provademse. « Les résidus obtenus intéressent beaucoup le secteur de la construction (3) ». Pour l’heure, les tests pratiques sont encore en validation : il leur faut vérifier que les rebuts en silicone de l’entreprise COP sont fournis en quantité constante et au grade adapté pour les applications visées.
« On sait qu’une filière de recyclage des silicones à grande échelle est difficile à mettre en place. Mais des initiatives pionnières et originales comme celles de COP Chimie, peuvent inciter de nombreux acteurs industriels à envisager d’exploiter leurs rebuts » conclut le chercheur de l’IMP.
(1) IMP, Unité Mixte de Recherche 5223 sous les tutelles du CNRS, de l’INSA de Lyon, de l’Université Claude Bernard Lyon 1 et de l’Université Jean Monnet Saint-Étienne. En collaboration étroite avec Raphaël Brunel, Ingénieur de Valorisation au laboratoire IMP, et Claire Barrès, Maitresse de Conférences à l’INSA de Lyon.
(2) Travaux financés lors d’une prématuration de 6 mois par la SATT Pulsalys, projet Si2Si (2024), avec un brevet déposé.
(3) Travaux financés lors d’une maturation de 18 mois par la SATT Pulsalys, projet SILBAT (2024-2025).