top of page

Sols en souffrance : quand le dérèglement climatique fait vaciller nos fondations

  • amellouzguiti
  • 11 avr.
  • 6 min de lecture

Longtemps perçus comme indestructibles, presque immuables, nos sols révèlent aujourd’hui leur grande fragilité face au dérèglement climatique. Entre pluies diluviennes, sécheresse et érosion, ces terrains sur lesquels nous marchons au quotidien, qui portent nos reliefs, nos bâtiments, nos routes et infrastructures, en montagne, en plaine, le long de nos côtes, disparaissent, parfois en quelques heures, parfois beaucoup plus lentement, sous les coups des événements climatiques extrêmes. Conséquences collatérales : des dégâts humains et financiers qui se chiffrent à plusieurs milliards d’euros. De quoi fortement interroger l’aménagement de nos territoires qui vont devoir s’adapter pour préserver notre sécurité et notre habitabilité mais aussi la réflexion des ingénieurs spécialistes en génie civil et environnemental. Tour d’horizon de ces menaces qui grignotent nos sols à travers le territoire métropolitain, et des solutions pour faire face, avec les regards croisés de Catherine Pothier, maître de conférences, experte en géologie, chercheuse en machine learning appliquée aux géosciences au laboratoire LIRIS (1) à l’INSA Lyon et Laurent Briançon, professeur des universités, géotechnicien et chercheur au laboratoire GEOMAS (2) à l’INSA Lyon.

 

 

Du torrent à l’asphyxie lente

Comme s’ils n’étaient plus en mesure d’encaisser. « Les sols sont vivants, ils ont toujours bougé mais le dérèglement climatique entraîne un changement de dynamique dans ces mouvements », explique Catherine Pothier, experte en géologie également membre de la commission des Balmes qui réunit plusieurs spécialistes des risques de mouvements de terrain pour le compte de la ville de Lyon. Vallées décimées, pans de montagne fracturés, fissures dans les maisons, côtes ou falaises grignotées, la vulnérabilité de nos sols, pourtant essentiels à notre subsistance, fait régulièrement la « Une » de l’actualité.



Vésubie
Dans la vallée de la Vésubie (Alpes-Maritimes) les dégâts liés à la tempête Alex des 2 et 3 octobre 2020 ont profondément marqué le territoire. ©Adobe Stock

Les inondations historiques, survenues dans la vallée de la Vésubie les 2 et 3 octobre 2020, ont particulièrement marqué les esprits et laissé des traces de destruction encore aujourd’hui bien visibles. En cause, 500 millimètres de pluie déversés en moins de 24 heures à certains endroits. La Vésubie, cours d’eau de montagne au débit normalement modéré, s’est transformée en l’espace de quelques heures en un torrent dévastateur emportant ainsi des sols souvent peu profonds, instables et sensibles à l’érosion. A la fin de l’année 2023, les sols du Pas-de-Calais ont eux aussi subit les affres du dérèglement climatique non plus par le fait de torrents ravageurs mais par une asphyxie lente. Il aura ainsi fallu deux mois, pour saturer les nappes phréatiques et les sols en eau provoquant des crues lentes et persistantes. Dans ce contexte, les pluies abondantes ne sont pas les seules en cause. La manière dont les sols ont été occupés, cultivés et imperméabilisés jusqu’ici dans cette zone contribue également à affaiblir le rôle habituel des sols contre les inondations. Les Hauts-de-France figurent d’ailleurs au deuxième rang des régions métropolitaines les plus artificialisées. « Il y a beaucoup d’endroits en France où le problème n’est pas la fragilité du sol en lui-même mais la pression de l’urbanisme et des aménagements », abonde Laurent Briançon, géotechnicien et chercheur au laboratoire GEOMAS à l’INSA Lyon. En France, l’équivalent de la surface d’un terrain de football est artificialisé toutes les 7 min. fondations

 

 

Quand la montagne s’écroule

Loin des plaines de Hauts-de-France, d’autres phénomènes agitent les médias et interrogent également les experts ces dernières années. Dans les Alpes et les Pyrénées, régulièrement, des pans entiers de montagne se détachent soudainement. Comme cet éboulement majeur survenu le 25 juillet 2024 en Isère. Regroupés dans la famille des phénomènes dits « gravitaires », ces événements pourraient probablement être la résultante du dégel du permafrost, cette terre glacée qui maintient la roche en place dans les montagnes. Sous l'effet de la hausse des températures, le dégel provoque la fragilisation de la roche. Combiné aux effets des laves torrentielles, qui sont des écoulements qui mélangent roches et eau, lors de pluies intenses, ces phénomènes restent encore un vrai sujet d’étude. « C’est un sujet complexe car des pans de montagne qui tombent cela a toujours existé. En revanche, le nombre d’infrastructures sur ces montagnes qui fait aussi qu’on augmente le niveau de risque et parfois même en mettant de gros coefficients de sécurité sur des ouvrages à la construction, on ne peut pas avoir de garantie à 100 % » explique Laurent Briançon.



Éboulements en Isère
L'éboulement de plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes de roches et de boue, survenu en Isère le 25 juillet 2024, a enseveli la route départementale sur près d'un kilomètre. ©Conseil départemental de l'Isère.

Des maisons et des fondations en péril

Bien moins impressionnant que l’éboulement, le retrait-gonflement des argiles (RGA) est un autre mal qui menace nos sols et plusieurs millions de maisons individuelles aujourd’hui en France. Derrière ce phénomène, une réaction en chaîne simple : en période sèche, l’argile se rétracte ; lorsqu’elle est réhydratée, elle gonfle, provoquant des fissures sur les bâtiments. Parmi les zones géographiques les plus touchées, la Gironde, le Lot-et-Garonne et la Charente-Maritime notamment qui concentrent des sols argileux mais également l’Île-de-France. « Sur les maisons anciennes cela pose vraiment de grandes problématiques. Il y a eu des guides de préconisation qui ont été publiés pour la construction des nouvelles maisons. Mais les géotechniciens actuels disent que cela ne suffira pas », insiste Catherine Pothier. Selon une étude de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR), plus de 10 millions de maisons individuelles en France, soit 70% du parc immobilier français, pourraient ainsi être exposées à un risque moyen à fort de « RGA » en 2100 dans un scénario de réchauffement climatique à +4°C.

 

Reculer face aux cumuls des risques

Comme pris dans un étau qui se resserre inlassablement, nos sols sont également menacés par la montée des eaux. A ce rythme, jusqu’à 50 000 logements seront devenus inhabitables en métropole et dans les DROM, d’ici à 2100 selon le Centre d’études sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA). D’ores et déjà, certaines solutions comme des digues sont mises en place le long de certains littoraux. Mais dans de nombreux cas, les habitants sont contraints de reculer. En Vendée, après la tempête Xynthia en 2010, plusieurs digues ont sauté, d’autres ont été reconstruites mais 15 ans plus tard, la menace est encore bien présente.

 

« Il faut bien comprendre que tous ces risques peuvent se cumuler. Par exemple, sur un sol argileux, l’eau reste en surface, c’est très problématique, car en plus du retrait-gonflement des argiles on peut facilement avoir une inondation », témoigne Catherine Pothier. Face à ces menaces qui parfois s’empilent, l’adaptation est urgente.

 


Cartographie du phénomène de rétractation
Cartographie de l'exposition du territoire au phénomène de retrait gonflement :  48 % du territoire est en zone d'exposition moyenne ou forte. ©Bureau de recherches géologiques et minières.

S’adapter 

Les experts scientifiques appellent à une meilleure prise en compte du sol et de ses caractéristiques géotechniques dans les projets d’aménagement, en amont des constructions. « Il y a eu des recommandations faites par le Comité Français de Mécanique des Sols (CFMS) concernant certains ouvrages notamment du Grand Paris où il y a des argiles gonflantes. Par exemple avec l’utilisation de blocs de polystyrène ou des systèmes alvéolaires on peut compenser les effets du retrait gonflement des argiles. Il faut juste anticiper et bien faire l’étude géotechnique », détaille Laurent Briançon dont le laboratoire est « de plus en plus sollicité pour sécuriser et mieux prévenir les risques ». Face aux inondations, les territoires agissent également. À Romorantin-Lanthenay dans le Loir-et-Cher par exemple, la mairie a fait le choix, il y a 10 ans, d’aménager un quartier inondable en plein centre-ville. Lors de la crue de 2016, ce fut le seul quartier épargné. 

 

S’adapter ce n’est pas seulement construire ailleurs et autrement mais aussi utiliser ou réutiliser certains matériaux : « on travaille beaucoup sur les bétons biosourcés et il y a par ailleurs un vrai enjeu aujourd’hui dans le génie civil à réutiliser d’anciens remblais », ajoute le spécialiste de la mécanique des sols. Avec l’émergence de l’intelligence artificielle, d’autres possibilités se dessinent également. « Nous utilisons aujourd’hui l’IA pour obtenir une meilleure connaissance des phénomènes déclenchants des chutes de blocs avec l’objectif de créer des modèles capables de mieux anticiper ces risques par la suite », explique Catherine Pothier qui consacre désormais ses recherches dans ce domaine depuis qu’elle a rejoint en 2017 le laboratoire LIRIS. En juillet 2018, le plan national d'adaptation au changement climatique 2018-2022 (PNACC 2) a fait de la résilience des sols, un enjeu majeur. Aujourd’hui le PNACC-3 2023-2027 consacre également une place aux sols, mais de manière transversale, dans plusieurs axes stratégiques avec de nombreuses mesures.



 

(1) Laboratoire d’InfoRmatique en Image et Systèmes d’information (UMR 5205 CNRS / INSA Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1 / Université Lumière Lyon 2 / École Centrale de Lyon)

(2) Géomécanique, Matériaux, Structures (INSA Lyon)


 

"Regarder un atome le change, regarder un homme le transforme, regarder l'avenir le bouleverse. Le monde des hommes est un monde en accélération constante. Dans un univers où tout se transforme si rapidement, la prévision est à la fois absolument indispensable et singulièrement difficile."

Gaston Berger

Logo Point de bascule

Un média proposé par l'INSA Lyon.

Logo INSA Lyon
bottom of page