Pour se développer et créer de la valeur, une entreprise est plus ou moins prédatrice de ressources et génère ainsi directement ou indirectement des effets indésirables sur nos écosystèmes. Aujourd’hui, selon les scientifiques, six des neuf limites planétaires sont déjà dépassées. Dans ce contexte, créer de la valeur autrement devient une nécessité. L’entreprise contributive c’est justement le concept développé par Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable & QSE du groupe Bouygues, président du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D). Rencontre.
« Créer de la valeur économique… sans détruire la valeur écologique ». Est-ce comme cela que l’on pourrait résumer « l’entreprise contributive » ?
L’entreprise d’aujourd’hui est plus ou moins prédatrice nette de ressources (matières premières renouvelables et non renouvelables) et génère directement ou indirectement des effets non désirés et non désirables. Ce sont des externalités négatives sociales (précarité subie de certains contrats de travail par exemple) et surtout environnementales (émissions de CO2, pollution de l’air, de l’eau, destruction de la biodiversité etc.) tout au long du cycle de vie de ses produits. L’entreprise doit reconfigurer son modèle d’affaire pour créer en effet de la valeur économique sans détruire la valeur écologique. La nature ne facture aucune de ses matières premières aux entreprises qu’elles soient renouvelables ou non renouvelables et la pression sur les ressources s’accroît. L’objectif c’est de renverser ce schéma. Et cela passe aussi par un changement de notre système de comptabilité. Les entreprises comptent ce qu’elles gagnent en exploitant le vivant mais elles ne comptent pas ce qu’elles doivent pour restaurer le capital nature dont elles dépendent. Rien n’oblige les entreprises à protéger le vivant. Cela ne peut pas durer. Tout cela va demander des changements radicaux. Il faudra aussi que cela passe par de nouveaux récits culturels pour se synchroniser à nouveau aux limites planétaires et agir dans la coopération plutôt que dans la compétition.
Pourquoi y’a-t-il urgence à agir en matière de modèles économiques des entreprises ?
Cela fait des dizaines d’années que les scientifiques nous alertent sur les conséquences de notre inconséquence. On continue de faire comme si de rien n’était et de proposer des solutions qui sont incompatibles avec les enjeux d’aujourd’hui. C’est le moment ou jamais de le faire compte tenu du temps qu’il nous reste pour résoudre le défi ultime qui se pose aujourd’hui à l’humanité. C’est le défi de la biodiversité, du climat et des ressources. Nous avons déjà dépassé six des neuf limites planétaires. Il faut faire preuve de lucidité. L’espoir réside dans le fait de se mettre en action en ayant une approche systémique de ces problématiques. Il faut regarder à travers le prisme de toutes le disciplines de l’ingénieur mais aussi avec les sciences sociales. Il y a beaucoup de champs du possible à explorer. Nous allons trouver des solutions et l'entreprise contributive peut être une voie.
Vous enseignez dans de nombreuses écoles du supérieur, qui sont des lieux importants pour acculturer notre société à penser de nouveaux modèles d’affaires plus durables. Quels messages faites-vous passer à la jeune génération, de futurs ingénieurs notamment ?
Effectivement, les écoles du supérieur, dont les écoles d’ingénieurs ont un rôle très important à jouer pour enseigner les nouveaux modèles d’affaires et faire en sorte qu’ils finissent par s’imposer dans les modèles économiques. Mon message est le suivant : formez-vous ! Et même déformez-vous. Ayez l’esprit libre pour acquérir de nouveaux savoirs au service de la transition. Ayez l’amour du vivant. Plus on va connaître le fonctionnement du vivant, plus on va aimer le vivant et le défendre et s’inspirer de lui pour mettre en place des modèles de production frugaux, plus résilients et plus économes en utilisation de ressources de toute nature. C’est cela dont nous avons besoin pour l’économie de demain. La technique ne suffira pas, nous avons aussi besoin de sens. La technique, pour qui, pourquoi ? Les ingénieurs vont devoir sortir de leur zone de confort : un problème, une solution technique. Il leur faudra apprendre à ne pas simplement résoudre des problèmes mais à se mettre au service de causes qui en valent vraiment la peine.
Fabrice Bonnifet lors d'une conférence de l’Assemblée pour la Transition Écologique et Sociale de l’INSA Lyon.
L'entreprise contributive en quelques points
améliore la qualité de vie et la santé des gens,
réduise les inégalités en tout domaine et notamment l’accès à l’énergie,
reconstitue les stocks de matières primaires renouvelables,
s’affranchisse de l’utilisation des matières premières non renouvelables, hors celles issues du recyclage,
génère de la biodiversité,
restaure la qualité de l’air, de l’eau, des sols…,
contribue à laisser une planète désirable…. Aujourd’hui et pour les générations futures.