L’acoustique au service de la maintenance des éoliennes
- xavierbnge
- il y a 3 jours
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Dernière mise à jour : il y a 3 jours
Mieux vaut prévenir que guérir. La filière éolienne doit aujourd’hui faire face à un tournant majeur. Le parc existant en Europe est vieillissant : 50 % des éoliennes au Danemark ont plus de 15 ans, 40 % en Allemagne et, à ce stade seulement, 5% en France. D’ici à 2050, de nombreuses éoliennes devront encore être installées pour faire augmenter la part des énergies renouvelables et contribuer ainsi à l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050. Dans ce contexte, la fiabilité des machines et leur maintenance sont des enjeux cruciaux. Anticiper les défauts de fonctionnement des éoliennes c’est intervenir au meilleur moment avant l’éventuelle panne pour éviter des dégâts majeurs et des coûts très importants, jusqu’à 450 000 euros rien que pour une boîte de vitesse d’une éolienne. Au sein du Laboratoire de VibrationsAcoustique (LVA) de l’INSA Lyon, des chercheurs, pilotés par Jérôme Antoni, enseignant-chercheur au LVA et co-responsable (avec Didier Rémond du LAMCOS), du projet européen MOIRA (Monitoring Large-Scale Complex Systems)[1], travaillent sur des méthodes mathématiques pour mieux percevoir les signaux vibratoires des machines et ainsi mieux anticiper les anomalies. Décryptage.

Pales, roulements, boîtes de vitesses, générateurs, chaque éolienne est une machine particulièrement complexe qui nécessite une attention toute particulière. La moindre panne peut entraîner un arrêt de longue durée et éventuellement une casse complète. La France compte aujourd’hui près de 10 000 éoliennes[2]. Et leur maintenance est un enjeu majeur. Des études[3] montrent que certaines pratiques de maintenance peuvent prolonger la durée de vie des éoliennes de 10 à 15 %, avec à la clé une économie significative en termes de coûts de remplacement et de production d’énergie. Pour relever ce défi, des solutions de maintenance plus innovantes, prédictives plus que correctives, sont de plus en plus utilisées. A l’INSA Lyon, le Laboratoire de Vibrations Acoustique (LVA) travaille depuis plusieurs années sur ce sujet. Chaque vibration, chaque frémissement dans le moteur d’une éolienne, envoie un certain nombre de signaux que les chercheurs doivent apprendre à lire pour anticiper les déséquilibres mécaniques. « Nous traitons ce que l’on appelle le signal vibratoire via des modèles mathématiques. Et chacun de ces signaux constitue une preuve de l’état de santé de ces machines tournantes », explique Jérôme Antoni, enseignant-chercheur au LVA. Entre 2021 et 2025, lui et ses collègues du LVA et du Laboratoire de Mécanique des Contacts et des Structures (LAMCOS[4]) ont contribué au projet MOIRA[5] (Monitoring Large-Scale Complex Systems), un programme, financé par la Commission européenne, de formation et d’échange de connaissances entre doctorants et chercheurs issus de différents secteurs industriels, pour mieux comprendre les signaux produits par les machines complexes afin d’anticiper leurs défaillances.
Au cœur des machines
En juin 2024, les travaux menés au LVA ont été enrichis par la thèse[6] d’Adrien Marsick, réalisée en partenariat avec Engie Green[7], l’un des acteurs majeurs de l’énergie renouvelable en France. Le chercheur s’est attaqué à un défi de taille : « proposer des outils pour une meilleure surveillance de l'état de dégradation des roulements via l'étude de signaux vibratoires ». En d’autres termes, améliorer la surveillance vibratoire des roulements, ces composants clés situés au cœur des éoliennes, qui sont à l’origine d’une grande partie des défaillances mécaniques. Jusqu’à présent, la plupart des méthodes de surveillance vibratoire des éoliennes mesuraient les vibrations du point de vue de l’arbre tournant, c’est-à-dire la partie centrale de la machine. Problème : ces mesures étaient perturbées par les glissements et les variations de rotation des roulements, ce qui faussait les résultats. Adrien Marsick, lui, a changé de point de vue afin de repérer plus tôt les anomalies, mais surtout afin de suivre leur évolution dans le temps.
Une vision innovante qui lui a d’ailleurs valu de remporter un prix de thèse « CIFRE »[8] en 2024. Au-delà du domaine de l’éolien, ces recherches sur la maintenance prédictive mobilisent aujourd’hui presque tous les secteurs industriels. « Dans le cadre du projet MOIRA, nous avons collaboré avec le groupe Safran qui nous a fourni des données. Les moteurs d’avions sont aussi considérés comme des machines tournantes qui ont besoin de maintenance prédictive aussi bien pour réaliser des gains énergétiques que pour la sécurité des avions », précise Jérôme Antoni.

L’apport de l’intelligence artificiel
La maintenance prédictive est devenue aujourd’hui un marché à part entière. Et pour cause, dans le monde de l'industrie, on estime à 630 milliards d'euros[9] le surcoût lié aux opérations de maintenance non planifiées.Ce marché, baptisé MRO (maintenance, repair and overhaul), devrait passer de 75,6 milliards de dollars en 2017 à 109 milliards de dollars en 2027, selon les prévisions mondiales du cabinet de conseil américain Oliver Wyman[10]. Et pour y parvenir, l’intelligence artificielle s’est rapidement imposée. « On peut faire le parallèle avec la médecine où l’intelligence artificielle est utilisée pour mieux détecter un état de santé qui se dégrade. De la même façon pour les machines tournantes, on entraîne un modèle mathématique à reconnaître des états de santé de ces machines à partir de la lecture des signaux vibratoires. Pour cela l’étape d’entraînement de l’intelligence artificielle est impérative », détaille Jérôme Antoni.
Malgré de nombreuses réussites, l’apport de l’IA dans la maintenance prédictive reste perfectif et une question demeure : peut-on vraiment faire confiance aux prédictions de l’intelligence artificielle ? Qu’en est-il de la qualité des données qui nourrissent l’IA, sont-elles suffisamment nombreuses et l’IA ne génère-elle pas de fausses détections ? Plusieurs études ont par exemple montré que certains systèmes généraient beaucoup de fausses alarmes [11] ou réagissaient trop tôt ou trop tard. « Il y a un véritable enjeu à mieux comprendre ce qui sous-tend les décisions de cette intelligence », abonde Jérôme Antoni.
Un remède miracle ?
Qu’elle s’applique au secteur éolien, ferroviaire ou à l’aéronautique, la maintenance prédictive séduit largement les industriels car elle leur permet de faire des gains économiques et énergétiques. Mais cette innovation constitue avant tout une réponse intelligente et de maîtrise énergétique dans un système qui, lui, reste énergivore et toujours en croissance. Elle ne doit pas non plus faire oublier la nécessaire sobriété réclamée par la communauté scientifique depuis de nombreuses années. Dans l’aérien, par exemple, les dernières expertises prévoient un doublement du trafic mondial d’ici 2050, avec plus de 10 milliards de passagers par an. Même si chaque avion fait l’objet d’une meilleure maintenance, le nombre d’appareils et de vols augmente contribuant à un effet rebond toujours plus important.


